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de la Régence, s’exprime ainsi : « C’est aux historiens du XVIIe siècle qu’il appartient d’écrire l’origine du jansénisme. Ils diront comment, après avoir été l’amusement des sophistes d’Athènes et l’un des exercices de la moderne scholastique, quelques subtilités inintelligibles sur la liberté des actions humaines sortirent tout à coup de la poussière des écoles, et devinrent, par l’ambition de quelques prêtres, une querelle religieuse, et par l’imprudence de Louis XIV, une espèce de guerre politique. » Toute cette époque, si injustement caractérisée par Voltaire et Lemontey, restait donc à divulguer, et dans M. Sainte-Beuve elle a trouvé son historien. Nous savons désormais cette phase du passé si importante pour la religion, la philosophie, les mœurs et les lettres.

Nous avons éprouvé en lisant l’histoire de Port-Royal une impression analogue à celle que nous avaient donnée les Mémoires de Saint-Simon. C’est un de ces ouvrages qui vous font assister tout-à-fait à l’époque qu’il déroule. On s’imagine presque y vivre, on se surprend quelquefois à se croire le contemporain des hommes et des choses évoqués par le talent de l’auteur. On suit avec sécurité la marche de l’écrivain, parce qu’on la sent tranquille et maîtresse d’elle-même ; on est satisfait de s’abandonner à la conduite d’un esprit calme et ferme qui se développe sans s’agiter, aux mouvemens d’une sensibilité qui n’a rien de désordonné, de convulsif. La pensée de M. Sainte-Beuve est toujours juste et profonde : peut-être quelquefois l’amour de la vérité en fait-elle descendre la finesse jusqu’à la minutie. Sa phrase est large, incidentée, ample et sinueuse. On pourrait trouver parfois qu’elle embarrasse sa marche par la surabondance des détails ; mais, en y songeant, on ne voudrait rien retrancher, parce que cet excès même est une richesse qui éveille chez le lecteur un plus grand nombre de sentimens et d’idées.

Tel est, en effet, le principal attrait et le premier mérite du livre de M. Sainte-Beuve, c’est qu’il provoque la pensée et l’excite à embrasser un vaste horizon. L’historien de Port-Royal dit en commençant un de ses chapitres : « C’est toujours du plus près possible qu’il faut regarder les hommes et les choses ; rien n’existe définitivement qu’en soi. Ce que l’on voit de loin et en gros, en grand même si l’on veut, peut être bien saisi, mais peut l’être mal ; on n’est très sûr que de ce que l’on voit de très près. » Nous ajouterons que cette étude exacte et analytique d’une question, d’un fait, non-seulement approfondit d’une manière définitive l’objet examiné, mais éclaire aussi d’autres sujets, et l’ensemble même des choses humaines. On saisit