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PORT-ROYAL.

et la critique littéraire concourent à produire quelque chose d’harmonieux et d’achevé.

L’abbé de Saint-Cyran avait un formidable juge de ses actions et de ses paroles, juge qu’il connaissait sans le craindre ni le braver : c’était le cardinal de Richelieu. Le ministre de Louis XIII avait distingué de bonne heure l’ami de Jansénius : il avait pénétré tout ce que cette nature avait de vigueur morale et de puissance contenue. Aussi, avec l’instinct qui ne manque jamais aux vrais politiques, il avait fait de nombreuses avances à un mérite dont il voulait conquérir le dévouement et la reconnaissance. L’indépendance altière de l’abbé de Saint-Cyran avait tout décliné et avait laissé dans l’ame du cardinal un ressentiment plein d’amertume et de vigilance. Mais nous ne saurions songer à raconter ici ce que l’historien de Port-Royal a si bien décrit, les prétentions théologiques du cardinal, son dépit contre l’abbé, la singulière sollicitude avec laquelle Richelieu veillait sur la conscience religieuse de Louis XIII. Arrêté le 14 mai 1638 et conduit dans le donjon de Vincennes, l’abbé de Saint-Cyran n’en sortira qu’après la mort du cardinal, de la bouche duquel on avait entendu tomber cette parole, que si l’on avait enfermé Luther et Calvin, quand ils commencèrent à dogmatiser, on aurait épargné aux états bien des troubles.

L’arrestation de M. de Saint-Cyran, son interrogatoire qui n’eut lieu qu’un an après, ses relations et ses dissentimens avec saint Vincent de Paule, terminent le premier volume de Port-Royal. La première moitié du second nous offrira l’analyse de la doctrine et du livre de Jansénius, qui mourut en 1638. Trois ans après l’apparition de l’Augustinus, l’abbé de Saint-Cyran succombe à son tour, et dans la même année, en 1643, paraît le livre d’Arnaud de la fréquente Communion, livre inspiré par les principes de Jansénius, et servant de transition au Port-Royal de la seconde époque, dont Pascal est le défenseur et la gloire.

Avant l’ouvrage de M. Sainte-Beuve, nous ignorions presque entièrement ce qui avait précédé l’apparition des Provinciales. Tous ces commencemens de dogmatisme sincère et profond, de piété naïve et fervente, les origines, en un mot, étaient cachées dans l’ombre ; elles étaient méconnues et méprisées. Voltaire, en parlant du jansénisme dans son Siècle de Louis XIV, jette en passant une phrase dédaigneuse où il dit que l’abbé de Saint-Cyran, ami de Jansénius, homme aussi ardent qu’écrivain diffus et obscur, vint à Paris, et persuada de jeunes docteurs et quelques vieilles femmes. Lemontey, dans son Histoire