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PORT-ROYAL.

leurs mères les poussent à une éclatante apostasie. Les femmes sont auprès des confesseurs, elles assistent les évêques, elles encouragent les martyrs ; on les trouve au pied des croix, au fond des cachots ; et cette religion qui, dans son essence, n’est que tendresse et douleur, devient pour elles un perpétuel triomphe. L’église leur assure une autorité positive et leur confère une sorte de souveraineté. Les femmes constituent des ordres et règnent dans des abbayes. Enfin, pour suprême honneur, on les trouvera mêlées aux plus grands débats spirituels ; elles figureront dans l’histoire même du dogme et des combats que devra soutenir l’orthodoxie traditionnelle contre l’innovation. Pendant que Luther dogmatise contre l’église, sainte Thérèse fonde des monastères et multiplie des écrits où la foi catholique reçoit les plus fervens hommages. Avec sainte Thérèse, l’Espagne répond par la prière à la polémique allemande. Un jour une jeune fille, qui se présentait pour prendre le voile, dit à la fondatrice des Carmélites qu’en entrant au couvent elle apporterait sa Bible. — Votre Bible ! s’écria Thérèse ; s’il est ainsi, ne venez pas parmi nous, car nous ne sommes que de pauvres religieuses qui ne savons que filer et obéir. — Que de puissance dans cette simple parole ! Quelle volonté ferme de vouloir ignorer les débats de la science humaine !

Tout au commencement du XVIIe siècle vivait en France, à Port-Royal, une jeune fille qui en avait été nommée abbesse dès l’âge de dix ans et demi. Jusqu’à seize ou dix-sept ans, elle fut souvent tentée de quitter la vie religieuse, lorsque, touchée de la grâce, elle entreprit la réforme de la maison qu’elle dirigeait. Voilà le commencement naïf du grand mouvement religieux qui agitera les règnes successifs de Louis XIII, de Louis XIV et de Louis XV. Voilà qui donne au jansénisme une physionomie particulière que n’ont pas les autres disputes et les autres hérésies. L’histoire de Port-Royal s’ouvre avant celle du jansénisme ; la prière et la pratique ont précédé le dogme et la science. Port-Royal est un sanctuaire de vie intime et de dévotion intérieure, où la foi brûle sur l’autel avant que la doctrine, puis la polémique, pénètrent dans le cloître.

Poursuivons, et nous rencontrerons dans les destinées du jansénisme une autre originalité qui ne sera pas moins considérable. Quand la doctrine même aura fait explosion, elle deviendra l’occasion et presque le mobile d’un mouvement littéraire qui tient une notable place dans les développemens de la langue et des lettres françaises. Pascal et Racine font partie intégrante de l’histoire du jansénisme, et dans les diverses phases de cette grande dispute nous pourrons admi-