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PORT-ROYAL.

l’Allemagne, Novalis, n’a donc fait que reproduire Luther, quand il a écrit : « Le péché est le plus grand attrait pour l’amour de Dieu ; plus l’homme se sent pécheur, plus il est chrétien. » C’est avec la force qu’il puisait dans ces convictions redoutables, que Luther répondit à Érasme : « C’est la querelle d’Augustin avec Pélage qui recommence. Encore une fois, le libre arbitre est subordonné à la grace divine ; on le fait esclave (de servo arbitrio). C’est dans cette servitude que le chrétien doit espérer le plus ; Dieu s’est chargé de son salut ; seul, l’homme n’irait qu’au péché : sous le doigt de Dieu, il a pour lui l’espoir et la chance d’être atteint de la grace divine. » Qu’est Érasme aux yeux de Luther ? un païen, un Lucien nouveau, un Épicurien athée qui se permet de juger le Christ. Érasme fut consterné de tant de violence, il se sentit comme brisé par cette espèce de férocité dogmatique, et il mourut accablé de tristesse, sans comprendre cette fureur divine qui s’acharnait à détruire l’humaine liberté.

Au XVIe siècle, la doctrine de la grace se releva donc dans tout son éclat. Bossuet a écrit que Calvin avait raffiné au-delà de Luther ; il expose, dans son Histoire des Variations, comment Calvin voulait que le chrétien fût non-seulement assuré de sa justification par la foi, mais qu’il tînt pour certain sa prédestination éternelle de sorte, dit expressément l’évêque de Meaux, qu’un parfait calviniste ne peut non plus douter de son salut qu’un parfait luthérien de sa justification. Ainsi, la grace une fois reçue ne peut plus se perdre, et cette inamissibilité va si loin, que les enfans des justes naissent dans la grace, et n’ont pas proprement besoin du baptême pour être sauvés. Calvin n’innovait pas, mais il systématisait les idées fondamentales de la réforme, et les poussait à leurs conséquences dernières. Le moine saxon avait eu cette sensibilité ardente qui remue et féconde les pensées ; le théologien de la Picardie porta, dans la réforme dont Genève fut le théâtre, cette raison précise et sévère qui, en approfondissant les principes, les rend positifs, rigides et puissans.

Cependant l’église catholique n’était pas affectée par cette résurrection de la grace. Le concile de Trente avait expressément condamné Calvin ; cette condamnation, tout en rejaillissant sur saint Augustin lui-même, maintenait la théologie dans les tempéramens du semi-pélagianisme. Cent ans après l’Institution Chrétienne, que Calvin dédia à François Ier, parut en 1640 l’Augustinus. Ce livre posthume, car Jansénius était mort en 1638, traitait de la grace, du libre arbitre, du péché originel et de la prédestination. Avec l’Augustinus reparaissait la doctrine fondamentale du christianisme. L’ouvrage de