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des temps fort longs s’écoulèrent, avant que la réflexion et l’étude produisissent une morale pratique qui servît de règle à leurs actions. Les premiers développemens du stoïcisme ne précèdent que de trois siècles l’ère chrétienne : l’apogée des doctrines et des vertus du portique est contemporaine des premières prédications et des premiers dévouemens du christianisme. Désormais la question de la liberté humaine était posée dans toute sa profondeur, tant par les sectateurs de Zénon que par les disciples du Christ.

On peut dire que dans les deux camps, du côté de saint Paul aussi bien que dans le parti de Sénèque, on eut peur de la liberté humaine à la vue des excès dans lesquels elle était tombée. Le stoïcien voulut la dompter en la rendant immobile ; il lui prescrivit pour règle de supporter et de s’abstenir, il lui imposa pour devoir unique et terrible d’assister à l’irréparable chute des vieilles institutions avec une résignation muette. Le chrétien se réfugia dans le sein de Dieu ; il absorba la liberté humaine dans une fatalité divine qu’il appela la grace, et c’est dans une sublime servitude qu’il trouva l’indépendance morale.

Dans toutes les grandes doctrines qui instruisent l’humanité, la passionnent et la mènent, il y a des esprits entiers et ardens qui ne transigent sur rien et prennent à tâche au contraire d’insister d’une manière dure et violente sur ce que le système dont ils sont les interprètes a de plus exclusif, de plus spécial et de plus intraitable. Colonnes de feu, tranchantes épées, ils portent haut la lumière et lui fraient la route par la puissance incisive de leurs résolutions extrêmes. Ainsi fit saint Paul. S’il a quitté si brusquement la synagogue, c’est pour annoncer des choses entièrement nouvelles dont l’impitoyable originalité remplira l’ame humaine d’étonnement et de douleur. Il enseigne que la nature de l’homme est foncièrement mauvaise, que l’homme ne peut se relever de cette corruption incurable par ses propres efforts, et qu’il ne saurait être sauvé que par les mérites de Jésus-Christ crucifié : Se figure-t-on l’effroi du genre humain devant cette proposition formidable, et la terreur n’augmentera-t-elle pas quand l’apôtre écrira expressément aux Romains que Dieu prend en compassion ceux qu’il veut, et endurcit ceux qu’il veut. L’objection du bon sens humain ne l’arrête pas. À l’homme qui demande pourquoi, s’il en est ainsi, Dieu se plaindrait, puisqu’il est impossible de résister à sa volonté, Paul répond avec un accablant dédain : Qui es-tu, toi qui contestes contre Dieu ? Le vase demande-t-il au potier, pourquoi m’as-tu façonné de la sorte ? Ainsi l’apôtre plonge la liberté humaine dans le gouffre de l’omnipotence divine et il l’y perd. Au nom de la foi, Paul