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MARIE D’ENAMBUC.

— Elle vous a pardonné à ses derniers momens, dit le médecin ; elle a prié pour vous, pour vous, dont le funeste amour a rempli sa vie d’amertume et de malheur. Maintenant, du moins, laissez-moi accomplir ses dernières volontés ; souffrez que je ramène en France ses tristes restes pour les rendre à son mari, le marquis de Maubray.

— Son mari ! s’écria le comte en se dressant avec une sombre fureur ; elle était sa femme !

— Elle l’avait épousé secrètement à la Martinique.

Loinvilliers l’interrompit et lui imposa silence d’un geste violent ; puis, redevenant calme en apparence et maître de lui-même, il appela Juan de Mata. Le forban pâlit et s’arrêta épouvanté en apercevant cette femme morte, dans ce cercueil ouvert près duquel Palida et le médecin venaient de s’agenouiller.

— Est-ce là Mme d’Énambuc ? dit-il en faisant un signe de croix ; par le Dieu vivant ! ce n’est pas ainsi que vous vous attendiez à la retrouver, seigneur comte ! Maintenant qu’allez-vous faire ?

— Ses funérailles, répondit Loinvilliers.

Un quart d’heure après, tout l’équipage du Saint-Nicolas et tous les forbans étaient réunis, la tête nue, sur le pont ; l’aumônier, son missel à la main, disait les prières pour les morts devant le cercueil auquel on avait attaché deux boulets ; le comte, agenouillé contre les bastingages, murmurait le De Profundis d’une voix creuse et brisée. Après l’absoute, deux hommes soulevèrent le cercueil et le lancèrent par-dessus le bord. Les profondes eaux jaillirent avec un bruit sourd et se ridèrent au loin ; puis le gouffre se referma, tout fut fini ; la petite reine était à jamais cachée au fond des abîmes de la mer. Alors le comte se releva et dit entre ses dents :

— Il ne la reverra ni vivante ni morte !


Mme Charles Reybaud.