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MARIE D’ÉNAMBUC.

en serrant contre sa poitrine les mains jointes de Marie ; éloigne ces terreurs, ces funestes souvenirs… Soyons heureux enfin…

Le lendemain était un dimanche, et dès le point du jour le père Du Tertre s’était rendu à l’église paroissiale du Mouillage, pour confesser les gens qui devaient faire leurs dévotions. Mais, contre son habitude, il retourna au fort avant de dire la grand’messe. Marie venait de passer dans la salle, où elle avait trouvé le docteur Janson.

— Mon père, est-ce qu’il y a quelque mauvaise nouvelle ? s’écria-t-elle en voyant entrer le moine, dont le visage annonçait une certaine agitation.

Il s’arrêta au seuil de la porte, pour s’assurer que personne ne pouvait écouter ; puis il fit signe à Palida de se mettre là en sentinelle.

— Madame, dit-il en se rapprochant de Marie, un complot va éclater aujourd’hui même, dans deux heures, à l’issue de la messe… La Providence a permis que je fusse averti. On veut se défaire du marquis, on veut le tuer…

— Et qui s’est chargé de cet assassinat ? interrompit Marie en pâlissant.

— Un parent de Baillardet l’insultera au sortir de l’église, où l’on s’attend à le voir paraître à votre suite. On ne lui laissera pas le temps de mettre l’épée à la main, on se jettera sur lui, et vingt bras le frapperont à la fois.

— C’est le comte qui a préparé ce guet-apens, s’écria Marie, c’est lui ! n’est-ce pas, mon père ? Oh ! je le croyais incapable d’une telle lâcheté !…

— Oui, c’est lui, mais il n’est pas seul… Les colons croient se faire ainsi justice de leurs propres mains. Ils ont vu avec une indignation furieuse ce qui s’est passé… Vous êtes sur un abîme, madame ! tout ce que je prévoyais est près d’arriver.

— Mais Maubray est un homme de tête, un homme de cœur… Il nous défendra, il nous sauvera.

— C’est pour cela qu’on veut d’abord se défaire de lui. D’ailleurs, madame, il ne faut pas vous le dissimuler, le marquis ne peut rien que par son courage personnel, son dévouement. Les circonstances qui ont entouré son arrivée ici empêcheront toujours qu’il ait une influence puissante… Le comte de Loinvilliers le sait bien… il triomphe…

— Mais que faire alors, que faire ? s’écria Marie avec épouvante. Mon père, je ne puis même dire à Maubray le péril où nous sommes ; il le braverait.