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chacun attendait dans une sorte de stupéfaction ce qui allait se passer ; les hommes qui veillaient sur le condamné et qui tous appartenaient à la garde espagnole du comte, s’étaient rangés des deux côtés de la porte. Mme d’Énambuc s’avança vers eux le regard fier, irrité, la tête haute, car peut-être prévoyait-elle déjà quelque résistance à ses ordres ; d’une main, elle soutenait la chaîne passée dans le carcan qui serrait le cou de Maubray.

— Retirez-vous, dit-elle aux Espagnols, il n’y a plus personne à garder ici.

— Madame, répondit l’un de ces hommes avec quelque hésitation, nous répondons à M. le comte du prisonnier.

— Je prends tout sur moi, interrompit-elle, et vous n’aurez pas à en rendre compte à mon lieutenant-général ; allez.

Ils obéirent. Mme d’Énambuc ordonna à ses gens de détacher les fers du prisonnier ; puis elle lui dit : Votre main, monsieur, et venez avec moi.

Il avança son bras meurtri, et elle y appuya légèrement sa main recouverte d’un gant de soie ; quiconque ne l’eût pas vu de ses yeux n’aurait pu croire que la petite reine marchait conduite par ce pauvre engagé à peine vêtu d’une grosse toile de Guinée, et dont les pieds nus portaient encore la marque d’un anneau de fer long-temps rivé à la cheville. Ils traversèrent ainsi la grande cour ; au moment où ils entraient, M. de Loinvilliers parut en haut de l’escalier. Ricio venait de lui apprendre ce qui se passait : — Jésus mon sauveur ! murmura le père Du Tertre à l’oreille du médecin, que va-t-il arriver ! — On monta silencieusement à la salle d’audience. Mme d’Énambuc avait une contenance calme, mais une énergie concentrée animait son regard, et le comte se fut à peine trouvé en face d’elle, qu’il comprit que non-seulement elle sauverait Maubray, mais encore qu’elle essaierait de le venger. Elle s’assit en entrant, et montra de sa main les siéges rangés autour de la table, comme pour inviter ceux qui la suivaient à prendre place ; mais tout le monde resta debout. M. de Loinvilliers se rapprocha ; sa physionomie, un moment troublée, était redevenue froide et audacieuse. Il regarda un moment le prisonnier, puis il détourna la tête, et eut l’air d’attendre l’explication de ce qui se passait. Le père Du Tertre et le médecin s’étaient mis à côté de Mme d’Énambuc ; Maubray resta devant elle, immobile, dans l’attitude d’un homme à peine revenu d’une de ces violentes émotions qui paralysent toutes les forces physiques.

— Monsieur le marquis, dit lentement Marie en se tournant vers