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LES RAYONS ET LES OMBRES.

Un vase en porcelaine est une incorrection qu’un bon écrivain ne doit pas accréditer. À plus forte raison, ne fallait-il pas dire :

Par une porte en vitre, au-dehors, l’œil en foule
Apercevait ............

Nous demandons bien pardon à M. Hugo et à nos lecteurs de cette trop longue chasse aux syllabes, qui nous donne quelque peu l’air de l’auceps syllabarum, dont se raille quelque part Cicéron. On sait d’ailleurs dans quel but spécial nous avons entrepris ce minutieux examen. Il ne nous reste qu’à recommander à ceux qui l’auront lu de ne tirer de ce commentaire que les conclusions que nous avons nous-même indiquées. Nous ne serions certes pas entré, on peut nous en croire, dans ces détails techniques, si M. Hugo n’était à nos yeux non-seulement un grand coloriste, un grand musicien, un grand poète, mais encore un très habile et très savant artiste en fait de langue, et, pourquoi ne pas dire toute notre pensée ? le plus habile aujourd’hui et le plus savant de tous nos écrivains en vers. Si nous avons cru devoir étudier son œuvre la loupe à la main, c’est qu’il n’y a d’utiles études de style à faire que sur des ouvrages de premier ordre. Quel profit y aurait-il à signaler les incorrections de tous genres qui foisonnent dans les œuvres soi-disant classiques et pures des bonnes gens qui croient modestement continuer l’école de Racine ? — Nous ne voudrions pas non plus que l’on conclût de la pédanterie de nos remarques que nous prétendons appliquer, sans distinction ni merci, l’inflexible égalité de la grammaire aux productions des poètes. Nous ne poussons pas si loin le radicalisme littéraire. Nous reconnaissons, au contraire, et nous proclamons volontiers les priviléges de la poésie. N’est-ce pas elle qui crée les langues et qui les orne ? elle qui leur donne tout ce qui les fait vivre et plaire, l’harmonie, le nombre, les images ? elle encore qui prodigue à leur déclin les dernières fleurs et les dernières graces ? En retour, la poésie reste, dans de certaines limites, dame et maîtresse de la langue ; et c’est justice. Elle a le droit régalien de battre monnaie ; elle frappe à son effigie des mots nouveaux et de nouvelles tournures. Ces créations, heureuses ou malheureuses, ne peuvent être démonétisées par simple arrêt du vocabulaire ou protestation de la syntaxe. On ne peut sans barbarie appliquer aux poètes, ces rois de l’intelligence, le niveau de la grammaire commune, sous lequel nous devons tous courber la tête, nous autres simples mortels. Est-ce à dire que la langue de la poésie