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ce n’est pas là un mérite frivole. Le poète a dû à la puissance musicale de cette basse continue, qui marque si énergiquement le rhythme, de pouvoir faire avec succès ce qu’on avait en vain essayé jusqu’à lui, c’est-à-dire pratiquer l’enjambement et déplacer la césure sans que le sentiment rhythmique soit en rien affaibli. Nous déclarons n’avoir à signaler que deux rimes un peu faibles : Paros et héros, bizarres et rares, dont beaucoup d’honnêtes poètes se contenteraient assurément. Disons-le néanmoins, si l’oreille est toujours satisfaite, c’est un peu quelquefois aux dépens de la pensée. Ce culte exclusif et nécessaire de la rime amène, de temps à autre, des mots étranges et parasites, et qu’il faut bien appeler par leur nom, des chevilles. On ne peut guère attribuer à une autre cause ce vers bizarre :

Aimer. : .......
C’est se chauffer à ce qui bout.

Plus loin, dans la jolie pièce intitulée la Statue :

Parlez-moi, beau Sylvain .......
Avez-vous quelquefois moqueur antique et grec,
Quand près de vous passait avec le beau Lautrec
Marguerite aux doux yeux .......

Il n’y a que le voisinage du beau Lautrec, qui ait pu induire M. Hugo à lancer si mal à propos l’épithète de grec aux faunes et aux sylvains du Latium. C’est aussi sur le compte de la rime que nous mettons le pléonasme suivant :

L’égoïste, qui de sa zône
Se fait le centre et le milieu.

Quelquefois la rime a fait dire à M. Hugo plus qu’il ne voulait, comme dans ce conseil adressé à David, l’habile et actif sculpteur :

Toi, dans ton atelier tu dois rêver toujours.

Elle est cause encore de quelques expressions inexactes :

Il (le poète) voit, quand les peuples végètent.

Enfin, ce que nous pardonnons plus difficilement à la rime, c’est d’avoir engagé M. Hugo à changer le nom de Laure, si connu de tous et si doux, en celui de Laura :

Comme à Pétrarque apparaissait Laura.