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prescience, fait jaillir à travers le rayonnement de ses symboles et l’éclair de ses métaphores, une foule de vérités anticipées dont la science trouvera plus tard la démonstration.

Mais de ce que la poésie et l’imagination ont été données à l’homme comme un délectable instrument d’investigation et de découverte, de ce que nos grands poètes dramatiques et nos ingénieux romanciers ont, par les fouilles incessantes de leur psychologie sentimentale, rendu vulgaires et presque scientifiques les plus secrets mouvemens de certaines passions ; de ce que toute expression vraiment poétique est la révélation d’un nouveau rapport découvert entre le monde physique et le monde moral, s’ensuit-il que l’initiative sociale et religieuse appartienne de nos jours aux poètes, et qu’ils doivent aborder de front les problèmes métaphysiques et sociaux ? Non, assurément. Dans les études philosophiques et religieuses proprement dites, les poètes, en tant que poètes, resteront toujours bien loin des publicistes, des économistes, des philosophes. Quand MM. de Lamartine et Victor Hugo abordent, après Saint-Simon et Fourier, après Jean Reynaud et Pierre Leroux, les questions de rénovation religieuse et d’organisation sociale, ils nous rappellent tristement l’abbé Delille traduisant, dans les trois Règnes de la Nature, les physiciens et les naturalistes de son temps ; mais du moins l’abbé Delille ne prétendait-il à aucune initiative scientifique.

Non, ce n’est pas par des efforts directs, par d’ambitieuses et vagues théories générales, ni même par des poèmes cosmogoniques, fussent-ils aussi remarquables que la Chute d’un Ange, que les poètes peuvent mériter d’être comptés parmi les initiateurs du genre humain. Homère, Virgile, Dante, Shakespeare, Racine, Goethe, n’ont point créé de systèmes, ni lutté avec Pythagore, Platon, Bacon, Descartes, Kant. Ces guides enchanteurs de l’humanité ont suivi des voies plus appropriées à la muse. Ils ne sont si admirables que parce qu’à la hauteur de tout ce qu’on savait, ils ont jeté négligemment une foule d’aperçus familiers, délicats, inattendus, sur le monde et sur l’homme ; parce qu’ils ont marié la musique et la pensée, et exprimé simplement tout ce qu’ils sentaient, dans un style où le cœur, l’esprit et l’oreille découvriront éternellement de nouveaux charmes.

C’est dans ce sens restreint que la poésie et l’imagination exercent une véritable initiative sur la pensée humaine, et M. Victor Hugo, en tant qu’éminent écrivain et maître passé en fait d’images et de métaphores, a fait à lui seul rayonner plus de ces vérités phosphorescentes que presque tous nos poètes actuels réunis. Mais qu’il ne