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LES RAYONS ET LES OMBRES.

pour la poésie de toute initiative philosophique et religieuse. Citons quelques vers de cette pièce, beaucoup plus clairs, d’ailleurs, que la prose qui les précède :

Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui, sur toutes les têtes,
En tout temps pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir.
............
............
Il rayonne ! il jette sa flamme
Sur l’éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l’ame
D’une merveilleuse clarté !
Il inonde de sa lumière
Ville et déserts, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
À tous d’en haut il la dévoile ;
Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

M. Hugo tranche ici, comme on voit, une immense question. La poésie possède-t-elle, en effet, cette initiative intellectuelle qu’il lui attribue ? En d’autres termes, l’imagination est-elle, contrairement à l’opinion du père Mallebranche, le meilleur instrument possible pour parvenir à la vérité ? Comme il y a dans l’affirmative que soutient M. Hugo quelque chose de vrai et aussi quelque chose d’exagéré et de faux, nous nous y arrêterons un moment. Oui, il est bien vrai, et nous l’avons dit nous-même ailleurs, l’imagination est l’avant-courrière de la raison ; elle la devance en éclaireur ; c’est la colonne demi-obscure et demi-lumineuse qui guide la caravane humaine dans les déserts de l’intelligence. Doué d’une sorte d’instinct divinatoire trop peu étudié jusqu’ici, le génie poétique est plus propre qu’aucune autre de nos facultés à saisir, entre les divers objets de la création, certains rapports trop déliés pour être perçus par un autre sens. La poésie, qu’on peut appeler la demi-science, et mieux peut-être la