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REVUE. — CHRONIQUE.

L’organisation municipale eut également dans l’Armorique un caractère tout spécial. Les bourgeoisies s’établirent, non point à la suite d’une réaction violente contre la tyrannie féodale, comme nos communes du Nord, mais par le simple et naturel développement de la paroisse, développement d’ordinaire favorisé par l’église dont l’influence en Bretagne fut toujours protectrice et bienveillante. Les administrateurs de la paroisse, les fabriqueurs se trouvèrent chargés, non-seulement de gérer les biens de l’église, mais encore les intérêts de la commune tout entière, et, comme le remarque M. de Courson, il n’y eut point d’affranchissement, parce qu’il n’y eut point en Bretagne ce joug pesant de servitude qui écrasait les populations du Nord. De bonne heure, il est question de bourgeois de noble ancéserie qui ont accoutumé de vivre honnestement et de tenir table franche comme des gentilshommes, et sur les registres municipaux on voit figurer les noms de la plus ancienne noblesse, des Quélen, des Kersauson, des Kergariou, qui ne dédaignent point les simples fonctions de miseur et de contrôleur.

Cette union des seigneurs et du reste de la nation devait se maintenir d’autant plus étroite dans la Bretagne que le peuple et les barons, tenus en haleine par l’invasion toujours menaçante de la France, avaient continuellement besoin les uns des autres.

Quand la Bretagne se réunit à la France, les états stipulèrent les conditions de la réunion, et, libres comme par le passé, ils ne permirent au prince d’abroger aucune loi, de lever aucun impôt, de conclure aucun traité sans le consentement exprès des états. Dans ces assemblées, la noblesse ne sépara point sa cause de celle de la bourgeoisie ; car cette noblesse n’alla point se perdre dans les cours à la suite des rois : elle resta fidèle à ses antiques manoirs, entourée et armée de ses paysans auxquels elle avait concédé le sol, non point comme à des serfs, mais comme à des hommes libres. Tandis, en effet, que toutes les tenures féodales ont été abolies par la révolution, le domaine congéable, ce contrat libre des deux parts, a été respecté, et seul a survécu à toutes les concessions seigneuriales, comme un monument de l’antique liberté armoricaine. La liberté était si vieille dans ce pays de franchise et de mœurs antiques, que seul peut-être il n’avait pas à gagner à la révolution française, et que les magistrats se refusèrent à enregistrer les lois de la constituante qui anéantissaient la nationalité bretonne sans donner aux habitans de la Domnonée plus de droits que ne leur en avaient laissé leurs aïeux.

Tel est l’intéressant tableau que nous présente le livre de M. de Courson, et nous nous estimerons heureux si cette analyse imparfaite peut engager nos lecteurs à étudier cet ouvrage écrit avec entraînement, et où se révèle à chaque page une connaissance profonde de la langue, des mœurs et du pays que décrit l’auteur. Devant le mérite de si longues et si consciencieuses recherches, nous n’avons pas le courage de faire quelques critiques de détail qui n’intéressent point le fond du livre ; nous aurions désiré seulement que M. de Courson dominât plus puissamment son sujet qui l’emporte quelquefois, et