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ANTONIO PEREZ.

tout est faux et que tout est vrai, selon le titre de la comédie espagnole : Todo es verdad y todo mentira ; cette idée-là me semble particulièrement fausse. — Amis inconnus, et vous ennemis plus oubliés encore, une autre idée fausse et qui a été grandissant depuis cent cinquante années, est celle-ci : que, pour arriver à la connaissance approfondie des objets, il s’agit seulement de les isoler ; que l’étude se concentre dans l’analyse ; qu’il s’agit de séparer et non de comparer ; enfin, que les seuls instrumens au moyen desquels on découvre la vérité, s’il y en a une, sont la loupe et le scalpel. Souveraine erreur, maîtresse et impératrice de quelques millions d’erreurs, ô mes contemporains ! de quelque appareil esthétique qu’il vous plaise de les recouvrir et les déguiser ! »

« Je pense, tout au rebours, qu’il y a une vérité, unique et grande, en littérature comme en morale, et que son essence se rencontre dans les rapports des objets entre eux, non dans les objets isolés. Vous avez fait, ô modernes analystes, des histoires des mathématiques, en dehors de l’histoire des arts et du commerce. Vous avez écrit sur la musique, isolée de la poésie et de la religion. Vous avez barbouillé des pages sans fin sur les annales littéraires en dehors de la politique et du mouvement des nations. Pour analyser une fleur, vous l’avez arrachée du sol, vous l’avez privée du soleil, vous l’avez découpée dans ses dernières fibres. Vous êtes descendus jusque dans les extrêmes résultats de la décomposition qui ne vous a pas appris grand’chose, et de l’isolement qui n’a pu vous révéler que les secrets de la mort. Alors les esprits justes, qui sont les grands esprits, ont reconnu qu’ils tombaient dans des profondeurs sans issue et sans lumière, qu’ils se plongeaient vivans dans un puits où la vérité n’est pas ; qu’ils couraient risque de ne rien connaître en ne comparant rien, et que la science des rapports, la grande harmonie universelle, clé magique de tout ce qui est vie, amour, force et avenir, manquait à la science contemporaine. La sévérité des études exactes ramena donc à cette vérité les vastes et justes intelligences de Laplace et de Cuvier. La même vérité éclaira Schlegel, Goethe et Coleridge. Chez nous, il n’y a eu que combat, et les plus rares esprits, au lieu de gravir péniblement et résolument ces Alpes délicieuses et charmantes qui mènent à la vérité littéraire, ont fait le coup de fusil dans les rocs et les halliers comme des bandoleros et des guerillas. Triste chose, pauvre résultat d’une lutte universelle, déplorable copie de la lutte politique ! Cela sert quelques ambitieux et nuit à la vérité comme à l’art. Sacrifice malheureux des esprits les plus délicats, les plus éner-