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ANTONIO PEREZ.

soixante-dix guerres à son avantage, remportait quarante victoires glorieuses, étouffait les révoltes d’Allemagne, chassait les trois cent mille Turcs qui assiégeaient Vienne, et les deux cent seize mille hommes de Barberousse, et finissait par fabriquer des cages et des horloges dans une cellule. L’imitation étrangère ne s’attache à un peuple dominateur qu’après son triomphe politique. Nous eûmes des Balzac et des Corneille au moment où l’Espagne, malgré les efforts de Philippe II, s’affaissa sur elle-même. Ce fut alors que le banni, le meurtrier, le secrétaire d’état Perez écrivit sa défense et fit pénétrer chez nous le premier jet de l’influence espagnole.

Le commencement des influences, le premier moment de leur apparition et de leur pouvoir est chose difficile à observer. Elles s’insinuent par des fissures minimes et inaperçues. Les grandes causes éclatent au loin par des évènemens qui remuent ce monde, par les révolutions des empires et les chocs de la civilisation. Mais des circonstances délicates et facilement oubliées amènent le résultat définitif et décident ce que l’on peut nommer l’inoculation intellectuelle des peuples. Au moment où l’Europe admire Louis XIV et tremble devant lui, elle n’imite encore ni Boileau, ni Racine ; cependant une belle duchesse qui a aimé Louis XIV tient, dans un petit coin de Londres, une ruelle française que Saint-Évremont dirige ; c’est là le foyer français de l’Angleterre nouvelle, c’est la source première qui alimentera un jour toute la littérature britannique, à demi française sous les règnes de Charles II, de Guillaume et d’Anne. Le génie de Shakspeare replie ses ailes et refoule ses rayons ; l’esprit délicat de Saint-Évremont et celui de Boileau planent sur la littérature anglaise du XVIIIe siècle ; elle aura pour expression Pope et Adisson, intelligences qui sympathisent avec celles de Gassendi, de Fontenelle et de Molière.

Notre littérature, sans jamais perdre son caractère propre, a subi la loi inévitable, la loi féconde des assimilations, des influences, des alliances et des imitations. Sa sève, toujours caustique et raisonneuse, s’est constamment enrichie par ce procédé de greffe savante et facile qui rajeunit et propage les civilisations. Elle a été italienne, grecque, espagnole et latine. Les évènemens auxquels se rattachent ces révolutions littéraires sont fort curieux à étudier ; leur étude offre autant de difficulté que d’attrait. Il en est de graves et d’apparens, sur lesquels personne ne se trompe, et qui frappent tous les yeux. Ainsi, l’influence italienne, qui date de 1450, et se propage en France à travers le XVIe siècle tout entier, émane évidemment des guerres de Charles VIII et de Louis XII en Italie. L’histoire de cette influence