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ANTONIO PEREZ.

roi coupable, moi offensée ; et, bien qu’il ait la couronne sur la tête, je vous dis que vous êtes plus puissant que lui ! » — Le confesseur se tut, la vérité frappe à mort. »

Telles sont les paroles d’Antonio Perez, dont toute la narration est empreinte de cette énergique grandeur. Mais revenons à son histoire.

Perez avait bien deviné que le peuple aragonnais, jaloux de sa liberté, mécontent de Philippe, défendrait au prix de son sang la vie de l’homme qui venait lui demander protection. Philippe et ses ministres ourdirent plusieurs intrigues nouvelles pour détacher Perez de ses nouveaux protecteurs, et ce fut en vain ; témoins subornés, argent répandu, diplomates mis en campagne, ne firent qu’aigrir les esprits ; bientôt Antonio Perez devint le véritable chef de toute la population soulevée. L’inquisition, pour servir les intérêts du roi, voulut s’emparer de lui et le transféra dans le vieux palais des rois maures, l’Aljufera, qui était devenu son palais ; on plaça des monceaux de laine autour de l’Aljufera, que le peuple menaça de brûler si on ne lui rendait Antonio Perez. Il fut ramené en triomphe dans la maison qu’il occupait, et tous les citoyens s’armèrent en faveur de la justice et de l’exilé. On avait confisqué ses domaines et ses revenus ; il fut nourri par le peuple ; « une fruitière dont la robe, dit-il, avait plus de reprises que de trame, et qui avait plus d’enfans que sa robe de reprises, vendait ses pommes et ses oranges à deux pas de ma maison ; elle m’apportait régulièrement tous les jours un panier de fruits, et je fus très étonné de trouver un matin, sous les fruits, dix réaux, les seuls sans doute qu’elle possédât. » Les alcades mis en fuite ou tués, le vice-roi forcé de subir la loi populaire, les portes et les remparts gardés par les jeunes gens, ne laissaient plus au roi d’autre moyen d’étouffer la révolte, que de faire marcher une armée ; Perez monta à cheval avec son fidèle ami Gil De Mesa, et se retira, comme disent les Espagnols, « sur la montagne. » Il reparut ensuite à Saragosse ; mais bientôt, l’armée de Philippe s’approchant, il fallut qu’une seconde fois Perez et son ami allassent vivre à l’abri des rochers voisins. De là, il passa en France, séjourna quelque temps à Pau, où Catherine de Bourbon l’accueillit fort bien, et alla trouver Henri IV, qui goûta sa conversation, son esprit et son expérience, et lui assura une pension. Il voyagea ensuite en Angleterre, obtint la protection d’Élisabeth et l’amitié du comte d’Essex, et passa le reste de sa vie à Paris, occupé à rédiger et à publier les mémoires, curieux à plus d’un titre, qui obtinrent le succès popu-