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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

« Sois fertile, sol bien aimé, je te bénis avec émotion et avec tendresse ; et soit deux fois béni celui qui aujourd’hui fait passer la charrue sur toi ! »

Cette pièce, d’une exécution admirable dans l’original, cette pièce restera. Il fallait, pour la faire, la destinée et l’ame de Chamisso ; il fallait l’amour ardent du bonheur des hommes de notre temps dans un cœur qui battait encore aux souvenirs d’autrefois. Les premières stances expriment avec une singulière vigueur toute la poésie féodale des vieux souvenirs, et, dans la dernière, on entend comme un cri sublime et pénétrant d’humanité qui touche jusqu’aux larmes.

Je laisse Chamisso se caractériser lui-même comme poète dans quelques lignes manuscrites que je dois à l’obligeance de sa famille :

« C’est toujours parmi nous, dans le fond de nos cœurs, dans notre histoire, dans notre société telle qu’elle est, que je cherche et trouve la poésie…

« J’ai quelquefois puisé dans de vieux contes populaires, des légendes ou traditions. Ces sources purement humaines appartiennent à tous les âges ; la Matrone d’Éphèse et Abdallah nous appartiennent aussi bien qu’aux Latins et aux Orientaux. C’est toujours l’homme que je mets en scène, les secrets du cœur que je cherche à dévoiler, et si je dois à mes voyages d’avoir su peindre avec vérité quelques scènes de la nature, le paysage fut toujours le fond de ce tableau. »

Chamisso avait rapporté de Paris une grande confiance dans le triomphe de la liberté. Chamisso fut toujours un libéral, mais un libéral modéré, comme il le dit positivement : « Depuis que je me suis connu, j’ai été whig. » Il était plein de foi dans l’avenir. Son refrain éternel, avec son ami Delafoye, un peu plus pressé que lui, était : Patience ! patience ! tout viendra en son temps ; le monde continue à marcher d’Orient en Occident ; il tourne insensiblement et ne se laissera pas visser en arrière. — Il était sans cesse occupé de l’avenir du monde, et regardait souvent vers l’Amérique.

Les journées de juillet produisirent sur lui, comme sur toute l’Allemagne et sur toute l’Europe, ce qu’on pourrait appeler la stupeur de l’enthousiasme. Le 3 août 1830, Chamisso entra chez son ami Hitzig, tenant à la main le journal qui contenait les miraculeuses nouvelles. Il avait traversé les rues, remplies de monde ce jour-là, qui est celui de la fête du roi, dans un négligé plus grand encore qu’à l’ordinaire, en pantouffles, sans chapeau. Il était ivre de joie et d’orgueil ; il se rappelait en ce moment qu’il était né Français, et