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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

Stuart applaudie sur notre scène. Bien qu’intéressé à la loi du milliard pour les émigrés, Chamisso sympathisait vivement avec l’opposition constitutionnelle d’alors. Il écrit à sa femme avec une sorte de triomphe : « Dis à Hitzig que j’ai assisté au convoi du général Foy, cette grande solennité de deuil national, et que j’ai entendu parler près de son tombeau quelques-uns des plus célèbres orateurs ; dis-lui que j’ai assisté également au procès et à l’acquittement du Constitutionnel ; dis-lui que j’ai passé toute une matinée chez Auguste de Staël entre lui et le général Lafayette. » Cette préoccupation de la France, qui ne cessera point chez Chamisso, comme le prouvent ses lettres jusqu’à la fin et le recueil de ses poésies, pouvait appartenir autant à l’Allemand qu’au Français. Le vif intérêt que l’Allemagne prenait sous la restauration à nos discussions politiques m’a frappé alors au-delà de ce que je puis dire. Ce n’est pas parce qu’il était né à Boncourt que Chamisso assistait avec tant d’émotion au procès du Constitutionnel et à l’enterrement du général Foy, c’est parce qu’il venait de Berlin.

Du reste, il n’était pas absorbé dans les grands spectacles que Paris lui présentait au point de perdre de vue un seul détail de son intérieur, car il écrivait aussi à sa femme : « N’oublie pas d’arroser les rosiers ; n’oublie pas de faire lire les enfans ; n’oublie pas de répandre sur ma fenêtre la pâture pour les moineaux ; n’oublie pas de soigner les plantes que j’ai plantées. » Le contraste de ces lignes avec celles que j’ai empruntées plus haut à la même correspondance achève de dessiner la figure de Chamisso, analogue à celle de plus d’un Allemand de nos jours : un sentiment exalté des tendances nouvelles et une fidélité touchante aux naïves habitudes de la vie patriarcale des anciens jours. Les journaux français et la tribune française écoutés de loin au sein d’un ménage semblable à ceux que dépeint Auguste Lafontaine, ou mieux encore l’épopée domestique de Louise, voilà ce qu’on trouve à chaque pas en Allemagne. Heureux pays, où la politique a encore toute la candeur et toute l’innocence d’un premier amour !

Ce fut après son retour de France que je vis à Berlin Chamisso, en 1827, et que je ressentis pour cet homme excellent et remarquablement doué un attrait de cœur qui ne s’est jamais effacé depuis. Le naturaliste estimé commençait à avoir quelque réputation comme poète. Les pièces de vers que Chamisso avait composées jusqu’à cette époque, sous l’empire de ses diverses impressions et de ses diverses fortunes, parurent en 1827, réunies à une seconde édition de Pierre Schlemihl, et, en 1828, Chamisso écrivait en confidence à un ami :