Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/660

Cette page a été validée par deux contributeurs.
656
REVUE DES DEUX MONDES.

vie, bien qu’elle s’entende moins que lui à la disséquer ; elle a aussi plus de vie, plus de passion (mehr lieb’ im leibe) ; elle a les bonnes qualités du Français, la légèreté des manières, l’art de vivre, la grace. » — Et ailleurs : « Mme de Staël est un être extraordinaire. Elle réunit le sérieux allemand, l’ardeur méridionale, les manières françaises. Elle est sincère, ouverte, passionnée, jalouse, tout enthousiasme ; elle ne comprend que par l’ame. Le sentiment de la peinture lui manque ; la musique est tout pour elle ; elle ne vit que dans les sons ; il faut qu’on fasse de la musique près d’elle quand elle écrit, et au fond elle n’écrit que de la musique. La géométrie de la vie a ici peu de succès. Mme de Staël est également enthousiaste de la chevalerie et de la liberté. Elle est du grand monde et une franche aristocrate ; elle le sait elle-même, et tout ce qu’elle sait, elle le dit à ses amis ; c’est un personnage de tragédie. Elle a besoin de recevoir, de donner ou de jeter bas des couronnes ; elle a été élevée dans les régions où se formaient les orages politiques qui ont décidé du sort de la terre. Il lui faudrait au moins entendre le bruit des voitures de Paris. Elle dépérit dans cet exil. »

Il fallut quitter Chaumont. Un jour, le cor féodal qu’on sonnait pour annoncer l’arrivée de ceux qui se présentaient sur la rive droite du fleuve, annonça une visite. C’était le propriétaire du château, qu’on croyait en Amérique, et qui revenait chez lui, ne s’attendant pas à y trouver si bonne et si nombreuse compagnie. On l’invita à dîner, et on partit le lendemain pour Fossé, près de Blois. À Fossé, l’on conserva les habitudes de Chaumont. Le soir, tandis qu’un Italien jouait de la guitare, Mme de Staël et ses amis, assis autour d’une table, jouaient à la petite poste ; ce jeu consistait à s’écrire des billets qui se croisaient rapidement, et procuraient à chacun le plaisir d’avoir un ou plusieurs tête-à-tête par écrit ; car on aimait beaucoup les tête-à-tête : il y avait dans le jardin l’allée des explications.

M. de Barante appela bientôt près de lui Chamisso dans le chef-lieu du département de la Vendée, dans la ville nouvelle à laquelle Napoléon avait donné son nom. Chamisso devait aider le futur traducteur de Schiller dans ses travaux sur la littérature allemande. Il trouva à Napoléonville un grand repos et une hospitalité pleine de grace sous le toit du jeune préfet, dans lequel il reconnaissait déjà la supériorité que les années ont mûrie. Chamisso remplissait les loisirs que lui laissaient des fonctions peu assujétissantes en lisant nos vieux fabliaux et nos romans de chevalerie. Cette portion de notre littérature semble avoir été celle qu’il goûtait le plus. Il pous-