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REVUE DES DEUX MONDES.

gnonnes, attentives et raisonnables, et que les gens les plus sérieux et les plus haut placés écoutent avec intérêt, avec respect même, un homme sans naissance, sans fortune, oh ! un tel homme est une conquête difficile, glorieuse, et vous n’y êtes pas indifférente, Julie.

JULIE.

Ah ! je vous assure que je le suis parfaitement.

LA MARQUISE.

Point ! Orgueil ou sympathie, vous êtes émue aussi lorsque vous le voyez.

JULIE.

Il est vrai, quelquefois ; mais vous en savez bien la raison.

LA MARQUISE.

Sa ressemblance avec feu le chevalier ? Il est certain qu’elle me frappe maintenant plus qu’elle n’avait fait d’abord ; mais que vous importe ? Entre nous, Julie, tu ne l’as guère regretté, ton pauvre cousin, et s’il n’était mort à propos pour se rendre intéressant…

JULIE.

Brisons là, ma mère ; quoi que vous en disiez, ce sujet m’est pénible.

LA MARQUISE.

Eh bien ! parlons d’autre chose. As-tu des nouvelles de Louise ?

JULIE.

Ce sujet m’est plus pénible encore que l’autre.

LA MARQUISE.

Oui, mais il y a cette différence que tu as bien fait dans un sens d’oublier le chevalier, et que tu ferais mal de toutes les façons d’oublier ta fille.

JULIE.

Ma fille ! qui peut croire que je l’oublie ? Elle m’a écrit ce matin encore.

LA MARQUISE.

Ah ! Et te dit-elle enfin où elle est ?

JULIE.

Pas plus qu’à l’ordinaire. Elle se dit toujours retirée dans un couvent. Elle me recommande de ne pas être inquiète à son sujet ; mais elle déclare, avec cette petite obstination fâcheuse que vous lui connaissez, qu’elle ne veut ni sortir de sa retraite, ni me la faire connaître.

LA MARQUISE.

Pauvre Louise ! Tout cela est bien étrange ! Qui peut donc lui avoir suggéré une pareille détermination ? Depuis plus d’un an, elle est perdue pour nous, et rien n’a pu nous mettre sur ses traces. Elle se trouvait donc bien malheureuse ici !…

JULIE.

Je ne sais pourquoi vous insistez sur ce sujet si cruellement, ma mère ; pensez-vous donc que mon cœur n’en soit pas déchiré ? (Elle se jette sur un fauteuil