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nommée Cerès Duvernay. Les vers qu’il composa dans cette langue, pour l’objet de sa passion, sont aussi mauvais et aussi exaltés qu’il convient à un premier amour. Un jour, Mme Cerès Duvernay ayant laissé tomber un bouquet de pensées, Chamisso voulut le lui rendre ; on le lui donna. Cet incident, peu extraordinaire, lui inspira les vers suivans, qui le sont beaucoup. Je ne les cite que pour montrer à quel point notre compatriote était déjà Allemand par le tour de l’imagination, même dans ses vers français.

Bientôt je sentis cette fleur
Devenir graine dans mon cœur,
Et cette graine se répandre,
Lever, et croître, et me surprendre,
Remplir le jardin de mon cœur.
Depuis ce jour mille pensées
Malgré moi troublent mes journées,
Fleurissent pendant mon sommeil,
Se flétrissent à mon réveil,
Renaissent avec ton image…

Ce fantastique madrigal semble traduit de l’allemand. Chamisso faisait passer dans cette langue les vers coquets et assez plats que lui adressait en français Mme Cerès Duvernay. Sa langue adoptive était donc comme l’idiome naturel de son imagination et de son cœur. Il s’y sentait dès-lors plus à l’aise que dans sa langue maternelle.

Bientôt il se trouva faire partie d’un petit cercle de jeunes poètes alors obscurs, et qui la plupart sont devenus des hommes distingués dans divers genres. Parmi eux étaient Robert, Varnhagen, Koreff, Delafoye, aujourd’hui professeur de chimie à Caen, et enfin le plus fidèle ami de Chamisso, celui qui a publié ses lettres et sa biographie, Hitzig. Les jeunes amis entreprirent de concert un Almanach des Muses, publication qui leur semblait d’une grande importance et qui leur procura bientôt l’ineffable bonheur d’avoir des admirateurs, des admiratrices et des ennemis. Les fondateurs du Livre Vert (c’était le nom du recueil) furent séparés par la divergence de leurs carrières. Chamisso, resté seul à Berlin, leur écrivait souvent, et ce commerce, surtout avec les plus chers, ne fut jamais interrompu à travers les phases d’une vie errante.

La guerre allait commencer contre la France, et Chamisso exprime ainsi le vague besoin d’action qui tourmentait le jeune lieutenant « Je me frapperais du poing ; être un gars de vingt-quatre ans, et