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L’HINDOUSTAN. — AFFAIRES DE CHINE.

reste, la conduite des troupes russes, pendant cette marche aventureuse et cette pénible retraite, ne paraît pas moins digne d’admiration et d’éloges que celle de l’armée anglaise franchissant, au milieu d’épreuves d’un autre genre, les passes du Bolan. Le cabinet russe ne se laissera pas démoraliser par un échec. Les tribus Kirghis et Kaissacks, qui ont aidé les Russes dans leur dernière tentative, seront encore leurs auxiliaires dans la nouvelle expédition qui se prépare. Trois cents lieues de pays ne sont pas un obstacle infranchissable pour des nomades qui peuvent aller partout où leurs chevaux trouveront de l’eau et des pâturages, et qui n’exigent pour leur propre subsistance que ce que la nature ne refuse nulle part. Toutefois, nous le répétons, il est de l’intérêt de la Russie de se borner en ce moment à prendre position dans l’Asie centrale pour la protection et l’agrandissement de son commerce ; c’est un droit qu’elle peut exercer sans que l’Angleterre puisse s’en offenser, et si la rencontre de ces deux puissances prenait, contre toute apparence, un caractère hostile, la faute n’en sera pas à la Russie. Il n’est pas au pouvoir de l’Angleterre d’arrêter la marche de la civilisation dans l’Inde. Ce qu’elle pouvait faire, c’était de s’associer au mouvement et de le diriger, et c’est ce qu’elle a fait ; mais, tout en s’efforçant de féconder les élémens divers de ses richesses territoriales, et de développer les ressources industrielles et commerciales de son empire, elle a voulu avant tout, et pour son seul intérêt, exclure de cette œuvre d’avenir le concours des autres nations européennes, et même jusqu’à leur influence politique. C’est là, selon nous, qu’est le vice radical de son système, et nous ne pouvons croire qu’elle persiste dans cette voie d’exclusion. Malheureusement les nations, comme les individus, s’abusent parfois sur leur valeur réelle, se laissent aller au courant des habitudes et de la routine, caressant certains préjugés vaniteux, s’accoutumant à regarder comme un droit ce qui n’a été que le résultat de la tolérance ou de l’insouciance des autres nations. Les Anglais, en particulier, regardant la mer comme leur domaine, et les spéculations basées sur une exportation illimitée de leurs produits comme un privilége, s’étonnent, s’alarment et s’offensent même au besoin avec un naïf égoïsme de toute tentative de concurrence. C’est là l’écueil contre lequel viendra peut-être se briser l’avenir de l’Inde britannique. Il est toujours plus aisé de détruire que d’édifier, et, par une conséquence inévitable de ce principe, il sera toujours comparativement facile de s’entendre pour renverser une domination qui n’aura pas su se ménager d’alliances solides au dehors,