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Il a des mots admirables jetés çà et là dans ses lettres, de ceux que les écrivains de profession mettent en réserve pour les enchâsser au bout de leurs périodes comme le gros diamant au faîte du diadème. Il dit quelque part :

« Quand je goûte cette sorte de bien-être dans l’irritation, je ne puis comparer ma pensée (c’est presque fou) qu’à un feu du ciel qui frémit à l’horizon entre deux mondes. »

Et, vers la fin de la même lettre, il raconte que ses parentes s’inquiètent de l’altération de ses traits ; cependant il leur cache le ravage intérieur de la maladie.

« Ah ! disent-elles en se ravisant, c’est le retranchement de vos cheveux qui vous rend d’une mine si austère. — Les cheveux repousseront, et il n’y aura que plus d’ombre. »


J’ai cité autant que possible, mais j’ai dû taire tout ce qui tient à la vie intérieure. C’est pourtant là que se révèle le cœur du poète. Ce cœur, je puis l’attester, quoi qu’en dise le noble rêveur qui s’accuse et se tourmente sans cesse comme à plaisir, est aussi délicat, aussi affectueux, aussi large que son intelligence. L’amitié est sentie et exprimée par lui de la façon la plus exquise et la plus profonde. L’amour aussi est placé là comme une religion ; mais peut-être cet amour de poète ne se contente-t-il absolument que dans les choses incréées. Quoi qu’il en soit, et bien qu’à toute page un gémissement lui échappe à cet homme qui, dans son culte de l’idéal, voudrait s’idéaliser lui-même et ne sait pas s’habituer à l’infirmité de sa propre nature, cet homme est indulgent aux autres, fraternel, dévoué avec une sorte de stoïcisme, esclave de sa parole, simple dans ses goûts, charmé de la vue d’un camélia, résigné à la maladie, heureux d’être couché, tranquille derrière ses rideaux, « et plus près naturellement du pays des songes. » Il n’a d’amertume que contre la mobilité de son humeur et la susceptibilité excessive d’une organisation sans doute trop exquise pour supporter la vie telle qu’elle est arrangée en ce triste monde. Qu’a-t-il donc manqué à cet enfant privilégié du ciel ? Qu’eût-il donc fallu pour que cette sensitive, si souvent froissée et repliée sur elle-même, s’ouvrît aux rayons d’un soleil bienfaisant ? C’est précisément le soleil de l’intelligence, c’est la foi ; c’est une religion, une notion nette et grande de sa mission en ce monde, des causes et des fins de l’humanité, des devoirs de l’homme par rapport à ses semblables et des droits de ce même homme envers la société universelle. C’est là ce secret terrible que le Centaure cherchait sur les lèvres de Cybèle endor-