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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.
est lente à venir ; un verre de bon vin la stimule, et, quand elle est venue, un bon verre de vin la récompense. Ah oui ! n’en déplaise aux spiritualistes et partant à moi-même, un verre de bon vin est l’ame de notre ame, et vaut mieux pour le profit intérieur que toutes les chansons dont on nous repaît. Mais je parle comme un hôte du Caveau, moi qui voulais dire simplement que la vie ne vaut pas une libation.

Débrouillez tout cela si vous pouvez. Pour moi, grace à Pieu, je commence à me soucier assez peu de ce qui peut se passer en moi, et veux enfin me démêler de moi-même en plantant là cette psychologie qui est un mot disgracieux et une manie de notre siècle. »

 

Il avait pourtant la conscience de son génie, car il dit quelque part :

 

« Je ne tirerai jamais rien de bon de ce maudit cerveau où cependant, j’en suis sûr, loge quelque chose qui n’est pas sans prix ; c’est la destinée de la perle dans l’huître au fond de l’Océan. Combien, et de la plus belle eau, qui ne seront jamais tirées à la lumière ! »

Ailleurs, il se raille lui-même et sans amertume, sans dépit contre la gloire qui ne vient pas à lui, et qu’il ne veut pas chercher.

« Vous voulez donc que j’écrive quelque folie sur ce fol de Benvenuto ? Ce ne sera que vision d’un bout à l’autre. Ni l’art, ni l’histoire ne s’en trouveront bien. Je n’ai pas l’ombre d’une idée sur l’idéal, et l’histoire ne connaît point de galant homme plus ignorant que moi à son endroit. N’importe, je vous obéirai. N’êtes-vous pas pour moi tout le public et la postérité ? Mais ne me trouvez-vous pas plaisant avec ce mot où sont renfermés tous les hommes à venir qui se transmettront fidèlement de l’un à l’autre la plus complète ignorance du nom de votre pauvre serviteur ? Je veux dire que je n’aspire qu’à vous, à votre suffrage, et que je fais bon marché de tout le reste, la postérité comprise, pour être aussi sage que le renard gascon. »

Une seule fois il exprime la fantaisie de se faire imprimer dans une Revue « pour battre un peu monnaie, » et presque aussitôt il abandonne ce projet en disant : « Mais je n’ai dans la tête que des sujets insensés !… Hélas, rien n’est beau comme l’idéal ; mais aussi quoi de plus délicat et de plus dangereux à toucher ! Ce rêve si léger se change en plomb souvente fois dont on est rudement froissé. Je finirai ma complainte aujourd’hui par un vers de celle du juif errant.

Hélas ! mon Dieu !