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d’entendre au long la doléance, la sentence de l’honneur outragé. « Que ces bourgeois sont pédans ! s’écrie-t-il à merveille, et faut-il tant de discours avant de laver l’affront ? » il écoute pourtant, et le public aussi. Il y a là une hardiesse courageuse et qui était en train de réussir ; pourquoi une fausse manière de Geffroy, qui dit bien en général, est-elle venue la faire détonner ? Dans le cours de sa plainte austère, Alvise, qui s’exalte, arrive jusqu’à dire à Ordonio « Je vous observais depuis long-temps ; … je suivais tout… Si vous eussiez aimé vraiment, … si vous eussiez été aimé, … peut-être… alors… qui sait ?… oui, … j’aurais pu m’éloigner alors, me supprimer… » C’est là l’idée du moins, sinon les propres paroles, une idée de sacrifice, comme dans Jacques, et comme il est très possible qu’un mari tel qu’Alvise la conçoive. Mais une pensée semblable était difficile à articuler ; acteur, il fallait en marquer l’effort, entrer, pour ainsi dire, dans la crainte de l’exprimer. Au lieu de cela, Geffroy l’a débitée comme la chose du monde la plus simple et la plus facile à penser et à dire, et le succès du passage en a été troublé.

Une idée fausse qu’ont sur George Sand quelques personnes prévenues, et qui perçait de leur part à la première représentation de Cosima, c’est de croire à je ne sais quelles situations et quelles images dont cet éloquent écrivain caresserait le tableau. Je le dis bien haut, parce que ç’a toujours été ma pensée : dans cette Lélia même, si attaquée en naissant, il n’y a rien qui n’émane d’un esprit plutôt sévère, d’une imagination sérieuse, trop sérieuse même, puisqu’elle ne prévoit pas toujours les chances de l’ironie et de la malignité. Il y a dans le travail de cette pensée ardente, au moment de la production, une sorte de candeur conservée ; je ne sais pas d’autre mot, et je le livre aux habiles railleurs, aux écrivains de toutes sortes, incorruptibles champions de la morale sociale. Mais tenons-nous à Cosima.

En général, il faut le dire, si l’on excepte Mme Dorval, qui est toujours à excepter, et Geffroy, qui souvent a été bien, la pièce nous a paru jouée d’une manière insuffisante, sans ensemble, sans célérité, comme si les acteurs entraient peu dans leur rôle. C’est avec regret que nous avons vu Beauvallet refuser au rôle d’Ordonio la noblesse et la grace qui en font une partie essentielle, et en charger sans nécessité l’odieux avec une brusquerie vulgaire, qui pouvait compromettre les mots les plus simples.

C’est ainsi que je m’explique surtout comment bien des délicatesses ont été peu senties et bien des finesses ont paru échapper. Au second acte, par exemple, quoi de mieux comme vérité d’analyse que cette scène entre Cosima et Ordonio, lorsque celui-ci, qu’on croyait mort, revenu à l’improviste, surprend Cosima en larmes, lisant la dernière lettre qu’elle a reçue de lui ? Elle se retourne, elle le reconnaît, elle s’écrie : Toi ! toi ! lui dit-elle tout d’abord, comme en continuant son rêve ; mais bientôt, à mesure que l’explication se déroule à ses yeux et que sa raison se ressaisit elle-même, elle recule peu à peu, elle regagne insensiblement le terrain qu’un instant de surprise lui avait fait perdre, elle finit par le congédier. Et aussitôt après, quand l’oncle le chanoine arrive, et tout joyeux lui annonce d’heureuses nouvelles, elle s’est déjà