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sonne ; et cela par deux raisons que les hommes politiques de l’Angleterre conçoivent à merveille, et dont ils font une si heureuse application aux affaires de leur pays : l’une, qu’à l’exception des partis excentriques, décidément hostiles à la constitution et opposés à la marche générale de la nation, les partis alliés sont au fond d’accord sur la plupart des affaires et des doctrines gouvernementales ; l’autre, que si dans tout système politique il est des principes, des bases dont le parti qui professe ce système ne saurait s’écarter sans abaissement et sans honte, il est aussi une foule de points secondaires, une partie moins invariable, susceptible de plus et de moins, et qui peut devenir, sans reproches pour personne, matière de négociations, d’attermoiemens, de transactions.

Est-ce là une doctrine relâchée, inventée aujourd’hui même, pour la circonstance ? Nullement. Placé entre les démocrates et les fédéralistes, entre Jefferson et Hamilton, membres l’un et l’autre du ministère, que leur disait Washington, celui dont nul ne conteste la sagesse, la prévoyance, le patriotisme, la moralité ? « Faites-vous des concessions les uns aux autres, cela est toujours possible à des hommes éclairés et prudens ; l’intérêt de la commune patrie vous le commande ! » Voulait-il par-là leur conseiller l’abandon de leurs principes, l’abaissement de leur caractère, la versatilité, le déshonneur ? Qui oserait le dire ? Il les priait seulement de suspendre, d’ajourner leurs débats et de se rallier en attendant sur ce terrain commun que découvrent toujours les hommes honnêtes, sensés, jaloux de la grandeur et de la prospérité de leur pays. Il faut bien le dire : le grand homme ne fut guère écouté. Aussi Jefferson lui-même a été plus tard débordé par le parti démocratique, et d’un autre côté les fédéralistes ne sont plus aujourd’hui qu’un souvenir historique.

Le cabinet, par ses actes, ne s’est écarté en rien de la position qu’il a prise en entrant aux affaires. Il avait rassuré tous les fonctionnaires, quelle que fût leur origine, qui se rallieraient franchement à lui et se pénétreraient de l’esprit impartial et conciliateur du gouvernement. A-t-il manqué à ses promesses ? Où sont ces destitutions qu’on a si souvent annoncées ? Où sont ces larges faveurs qu’il devait distribuer à la gauche à pleines mains, comme un timide vassal voulant apaiser à tout prix la colère de son suzerain ? « Cela se fera, cela ne peut manquer d’arriver ; » et on fait à ce sujet des prédictions, on rappelle des bruits sans nombre sur lesquels nul ne garde le silence que le Moniteur. Nous nous en tenons au Moniteur. Ajoutons seulement deux observations : l’une qu’il n’y aurait pour nous, amis sincères de la conciliation, ni injustice, ni scandale, ni danger, si quelques-uns des hommes de la gauche franchement ralliés au gouvernement et capables de bien remplir les fonctions qui leur seraient confiées, étaient appelés à quelques postes vacans. Nous ne concevons pas une transaction qui consisterait à tout prendre et à ne rien accorder. Le blâme ne serait légitimement encouru que le jour où le cabinet livrerait les affaires à la gauche, que le jour où des destitutions ne seraient opérées que