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AVENIR DE NOTRE MARINE.

et de glorieux vétérans, complètement retirés du service. La moitié des cadres se trouve dans cette catégorie, qui est ainsi une charge pour l’état sans pouvoir lui devenir d’aucun secours[1]. Cependant, cette élimination faite, il reste encore à l’Angleterre 3,000 officiers d’élite qui suffisent pour tous les besoins ordinaires et extraordinaires. Si l’on y joint les 24,165 matelots, les 9,000 soldats de marine et les 2,000 mousses ou pilotins qui, d’après les états présentés au parlement par M. O’Farral, composent aujourd’hui l’effectif des équipages, on arrive au chiffre de 38,000 hommes pour l’Angleterre contre celui de 25,000 hommes pour la France.

Telle est la véritable situation. L’énorme disproportion du matériel, entre les deux puissances, est plus fictive que réelle ; celle du personnel a une tout autre gravité. On construit promptement des vaisseaux, on n’improvise pas des marins. Certes, jamais, à aucune époque, le personnel de nos flottes ne se recommanda par des qualités plus solides, par une instruction plus profonde, par un courage plus réfléchi. La France peut s’en enorgueillir à bon droit. Mais ne nous aveuglons point : la qualité, dans une guerre, n’a jamais suppléé le nombre. Une marine militaire, pour être vraiment forte, a besoin de s’appuyer sur une vigoureuse marine marchande. C’est là sa pépinière, son école préparatoire. Tout s’enchaîne dans la vie des nations, et les instrumens de leur richesse sont aussi les instrumens de leur force. On a tout fait en Angleterre, on n’a rien fait en France pour se ménager cette ressource auxiliaire. L’Angleterre comprend que les développemens de son commerce concourent à la grandeur de sa politique ; la France est sollicitée par d’autres intérêts à ne placer ses intérêts commerciaux et maritimes qu’en seconde ligne. Qu’en résulte-t-il ? Pour recruter ses armées navales, l’Angleterre peut puiser à pleines mains dans une réserve de cent soixante mille matelots formés par la marine marchande, tandis que la France, réduite à exercer ce droit vis-à-vis de trente-cinq mille hommes de l’inscription maritime, ne peut rien demander au commerce sans le froisser et sans l’épuiser. Durant l’été dernier, le Montebello demeura enchaîné cinq semaines dans la rade de Toulon, faute d’un équipage suffisant, et pour le compléter il fallut opérer des enrôlemens forcés dans tous les ports du littoral. C’est dans ce fait décisif que réside la supériorité de l’Angleterre. Son pavillon couvre sur les mers une

  1. En retraite ou à la demi-solde, l’Angleterre compte 1,065 capitaines, 877 commandans, 819 lieutenans, 300 maîtres, 310 quartiers-maîtres. Total 3,371.