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AVENIR DE NOTRE MARINE.

des inspirations de tactique. À ces causes politiques se joignent aussi des susceptibilités commerciales. L’Angleterre est dans la position d’un malade qui s’en prend volontiers à ce qui l’entoure de ce qu’il ressent et de ce qu’il souffre. Son organisation civile est un non-sens à côté de ses développemens industriels, et ce défaut d’équilibre réagit à son insu sur son humeur, sur sa raison, sur sa justice. En s’emparant des besoins du globe, en les excitant outre mesure afin de présider à leur satisfaction, elle a un instant trompé et détourné l’activité nationale, mais elle a créé en revanche dans son propre foyer des besoins nouveaux qui tôt ou tard se montreront implacables. Aujourd’hui, quoique son rayon de débouchés soit immense, l’Angleterre n’en peut rien sacrifier sans angoisse et sans douleur. C’est l’histoire de tous les excès : ils modifient la vie normale à tel point, qu’on ne saurait y renoncer impunément. De là naissent ces plaintes qui ne vont jamais jusqu’à une rupture, cette conduite à la fois passionnée et prudente, ce bruit à propos de griefs imaginaires qui tombe devant le besoin de maintenir un travail organisé par la paix et pour la paix. Tel est le caractère général des récriminations qui nous arrivent de l’autre côté de la Manche. Quant aux déclamations et aux colères des partis, elles n’engagent qu’eux-mêmes.

Le bill récemment voté dans le parlement anglais, pour une augmentation de l’état naval, a surtout fait éclater cette disposition des esprits. Dans le cours des débats, on a tout plaidé, excepté le vrai. Les chiffres n’ont été qu’une fiction dérisoire, variable au gré des passions de chaque orateur. D’une part, on a dit que l’Angleterre marchait à sa décadence navale ; de l’autre, on a affirmé que sa seule marine balançait les marines réunies du globe. Contradictions flagrantes, accusations puériles, rien n’a été ménagé, et le cabinet lui-même n’a pas craint de descendre dans ces thèses de convention, souvent au mépris des faits. Dans l’appréciation comparée des forces de la France et de l’Angleterre, nous allons rétablir la sincérité de la statistique, un peu compromise par cette discussion. Pour l’état de nos flottes, l’excellent travail de M. le baron Tupinier et la publication officielle du gouvernement seront nos guides, et l’on n’en saurait choisir de plus sûrs. Pour les flottes anglaises, l’Annuaire naval et l’United service journal nous fourniront des documens qui se contrôleront et se complèteront les uns les autres. Ainsi on échappera aux données systématiques pour rentrer dans la réalité.

Les deux lois qui dominent aujourd’hui notre organisation navale sont de dates récentes. L’une, concernant le matériel, est de 1837 ;