Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
LES MISSISSIPIENS.

ou devant monsieur : « Tiens ! voilà cette petite paysanne que j’ai vue à la fête !… » Il ne faudra rien dire, entendez-vous, monsieur ? Ça nous ferait de fâcheuses affaires, dà.

GEORGE, regardant Louise fixement.

Ainsi, vous êtes leur fille ?

LOUISE, bas à Lucette.

Comme il me regarde !

LUCETTE.

Dame ! c’est bien le cas de dire : Il vous regarde comme queuque-z’un qui ne vous a jamais vue.

GEORGE, à part.

Comment faire connaissance avec elle ? La gronder. C’est un moyen… avec les enfans. (Haut à Lucette.) Si c’est vous qui avez conseillé à Mlle de Puymonfort de désobéir à sa mère, et de se mêler à la foule qui va venir ici, sans autre Mentor que vous, vous avez commis une grande faute, et vous mériteriez bien que je vous fisse renvoyer pour ce fait-là, comme une petite soubrette de mauvaise tête et de mauvais conseil que vous êtes.

LUCETTE, toute fâchée.

Eh ! voyez-vous comme me traite ce monsieur-là ? Vrai, que je ne le connais ni d’Ève, ni d’Adam, et qu’il n’est jamais venu au château. On voit ben que vous n’êtes point fréquentier de la maison, car vous sauriez que je ne suis point fille de chambre, mais que je suis Lucette, la fille au jardinier, la petite-fille au vieux Deschamps, à qui M. le duc fait une pension, et la sœur de mamselle Louise, qui pis est ; et si vous dites du mal de moi, on ne vous croira point.

LOUISE, souriant.

Mais si tu prends soin de l’informer de tout ce qui nous concerne, il n’aura pas grand’peine à nous trahir. Allons, tais-toi ! (À George.) Monsieur, excusez-la, et quoi qu’il arrive, que vous connaissiez ou non mes parens, ne la faites pas gronder : c’est moi qui mérite tout le blâme, et je vous remercie de la leçon que vous venez de me donner.

GEORGE, lui prenant la main avec vivacité.

Ah ! croyez, mademoiselle, que j’ai quelque droit à vous avertir et à vous protéger… (se contenant) car mes intentions sont bonnes, et vous m’inspirez autant d’intérêt que de respect.

LOUISE, tristement.

C’est donc la première fois de ma vie que j’inspire ces sentimens-là !… Je vous en remercie.

GEORGE, ému.

Que dites-vous ?… N’avez-vous pas une mère ? (Louise baisse la tête.)

LUCETTE.

Oh ! si celle-là aime ses enfans, j’irai le dire à Rome. Elle aime son mari, voilà tout ce qu’elle aime ; et elle a raison, car c’est un brave et digne homme