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TIRSO DE MOLINA.

manche. Rien ne prouve mieux, pourtant, que la comparaison de ces deux ouvrages, à quel point il est vrai que, dans la lutte qui s’établit entre l’imitateur et son modèle, la supériorité du génie créateur peut être du côté du premier.

Tirso a encore composé un Amour médecin qu’on pourrait croire, d’après son titre, avoir été aussi imité par Molière ; mais il n’existe en réalité aucun rapport entre les deux drames, si ce n’est la parodie assez plaisante du jargon pédantesque de la faculté par une personne qu’un stratagème amoureux a revêtue de la robe doctorale.

Nous nous sommes assez étendu sur les ouvrages de Tirso de Molina pour qu’on puisse juger si nous avons eu tort de le ranger parmi les esprits les plus originaux qu’ait produits l’Espagne. Les rares facultés dont il était doué, et qui lui valurent de son temps de si grands succès, n’ont pourtant pas préservé sa renommée de ces vicissitudes plus fréquentes dans l’histoire de la littérature espagnole que dans aucune autre. Contemporain de Lope de Vega, irrégulier et incorrect comme lui dans la forme de ses drames, et de plus, complètement étranger, antipathique même à la délicatesse exagérée de pensées et de sentimens qui commençait à prévaloir sur la scène, il dut, dès le règne de Philippe IV, être jugé moins favorablement par la génération nouvelle dont le goût raffiné jusqu’à la subtilité repoussait comme triviale et grossière la simplicité relative de l’âge précédent. Plus tard, lorsque l’école française fit invasion sur le théâtre espagnol, Tirso, comme Lope de Vega, disparut complètement de la scène. Ses comédies étaient tombées dans l’oubli le plus absolu, et ce n’est qu’à une époque très rapprochée de nous qu’on s’est hasardé à remettre en lumière quelques-unes des plus remarquables. Cette tentative a eu un plein succès. Le public a accueilli avec enthousiasme ces charmantes compositions où il s’est étonné de trouver, après deux siècles, tant de grace et de fraîcheur, et de tout l’ancien théâtre espagnol, ces comédies sont maintenant, elles étaient du moins encore, il y a deux ou trois ans, celles qu’on jouait le plus souvent à Madrid, celles qui y obtenaient le plus d’applaudissemens.

Mais si Tirso est remonté, en Espagne, au rang élevé dont il n’aurait jamais dû déchoir, si son nom y est redevenu glorieux et populaire, il a été moins heureux de l’autre côté des Pyrénées. Il est resté presque complètement inconnu des critiques étrangers qui ont écrit sur le drame espagnol. La plupart ne l’indiquent même pas, et si quelques-uns font mention de lui, c’est en termes si concis, si vagues, si inexacts, qu’on s’aperçoit facilement qu’ils n’ont eu sous les yeux aucune de ses pièces. Eussent-ils, d’ailleurs, essayé de les lire, il leur aurait certainement été impossible de les apprécier et même de les comprendre. Tirso, par la nature des sujets qu’il a traités, par le tour de ses plaisanteries, par ses continuelles allusions à l’histoire, aux traditions, aux usages, aux locutions familières de son pays et de son temps, est essentiellement Espagnol, et Espagnol du XVIIe siècle. Cela est si vrai, qu’il y a, dans ses ouvrages, beaucoup de passages vraiment inintelligibles aujourd’hui, même à Madrid, pour quiconque n’a pas fait une étude approfondie de l’histoire et de la langue castillanes, beaucoup d’autres qui ne peu-