Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/505

Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
TIRSO DE MOLINA.

Don Gomez, au capitaine. — Elle le gronde parce qu’elle croit qu’il a offensé Dieu en jurant ! Vit-on jamais piété aussi parfaite !

Le capitaine. — Quel excès de scrupule !

Don Philippe. — Au reste, je vais quitter cette maison.

Marthe, le frappant. — Vous allez partir, méchant homme ? C’est ainsi que je châtie ceux qui jurent en vain.

Don Philippe. — Doucement, vous dis-je, cela devient sérieux.

Marthe, à demi-voix. — Perfide, c’est la jalousie qui me met hors de moi.

Don Gomez. — Ma fille, calme-toi, ne t’emporte pas de la sorte.

Marthe. — Non, mon père, l’insolent a mérité la mort. Quoique je sois une pécheresse, je ne permettrai jamais à personne de jurer en ma présence, c’est un trop grand péché.

Le capitaine. — Elle pleure !

Don Gomez. — C’est assez, Marthe, ton zèle pieux s’est assez manifesté ; s’il n’a juré que pour dire la vérité, il n’y a pas un si grand mal.

Don Philippe. — Certes, je ne l’ai pas fait sans qu’elle m’en eût donné de justes motifs. Vous ne connaissez pas son caractère.

Don Gomez. — Qu’est-il donc arrivé ?

Don Philippe. — Je lui donnais une leçon de grammaire : elle voulait décliner le mot cœlus, cœli, avec le mot amor, amoris ; je lui représentais qu’ils n’appartiennent pas à la même déclinaison ; elle n’en tenait compte. J’ai fini par me fâcher. Vive Dieu ! lui ai-je dit, vous ne devez pas décliner ainsi ces deux mots. Voilà ce qui l’a mise dans l’état où vous la voyez. Je ne resterai pas ici un moment de plus.

Marthe. — Ce qu’il dit est vrai, les choses se sont passées de la sorte.

Don Philippe. — Adieu donc, on ne traite pas ainsi les gens de bien.

Marthe. — Vous partez en effet ? Allons, revenez, maître Berrio.

Don Philippe. — Non, je ne reviendrai pas. Fussiez-vous ma mère, je ne permettrai à personne de porter la main sur moi. Adieu, vous dis-je.

Marthe. — Retenez-le, mon père.

Don Gomez. — Qu’il s’en aille, s’il veut.

Marthe — Vous le laissez partir ? Ne voyez-vous pas qu’il est en colère ?

Don Gomez. — Qu’importe ?

Marthe. — Que deviendra-t-il, malade comme il est ? Oh ! mon Dieu ! je pleure de pitié rien qu’en y pensant !

Don Philippe. — Laissez-moi en liberté.

Marthe. — Apaisez-le, de grace, faites-moi cette faveur. Je ne puis supporter la pensée que ce soit à cause de moi qu’il quitte la maison.

Don Gomez. — Allons, revenez, frère.

Le capitaine. — Qu’il ne soit plus question de rien.

Don Philippe. — Porter les mains sur moi, sur un licencié, sur un homme qui a pris ses degrés, sur un clerc tonsuré !

Marthe. — Quoi ! mon frère, vous avez reçu les ordres sacrés ? Pardon, pardon, je l’ignorais.