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Dionis (c’est le nom qu’il a pris) restera auprès d’elle pour lui servir de secrétaire et pour achever son éducation. Dans cette situation qui établit entre eux des rapports si intimes, le sentiment de préférence que la princesse éprouve déjà pour don Dionis prend bientôt le caractère d’une violente passion. Don Dionis lui-même est loin d’être insensible aux attraits de sa charmante élève. Il ne tarde pas, d’ailleurs, à s’apercevoir de l’impression qu’il produit sur elle ; mais d’autant plus timide qu’il aime davantage, il ne peut croire entièrement à son bonheur. Vainement Madelaine, comprenant la nécessité d’encourager un amant que l’extrême inégalité de leurs positions respectives doit rendre peu hardi, lui prodigue, avec une coquetterie fine et piquante, des avances peu équivoques. Si un moment il semble près d’y répondre par l’aveu de son amour, bientôt, et dès que la princesse, croyant en avoir assez dit, craignant peut-être d’avoir dépassé les bornes de la pudeur, s’arrête et attend sa réponse, il s’inquiète de ce silence ; il en conclut que les espérances qu’il commençait à former étaient de pures illusions, et qu’il avait mal interprété quelques paroles prononcées au hasard. Cette situation si naturelle et si gracieuse est admirablement rendue. Elle rappelle à quelques égards, comme nous le disions tout à l’heure, celle d’une comédie de Lope ; mais ce qui en fait la grande supériorité, ce qui rend bien plus intéressans don Dionis et sa maîtresse, c’est qu’ici ce sont deux sentimens tendres et sincères qui se trouvent aux prises, tandis que, dans le Chien du Jardinier, la lutte est celle d’une femme altière et capricieuse avec un homme froid et intéressé, qui ne l’aime pas, qui ne voit dans sa liaison avec elle que l’occasion de faire fortune, et dont l’ame est aussi subalterne que le rang.

Cependant la princesse se décide à mettre fin à cet état d’incertitude et d’angoisses. Le comte de Vasconcelos, que son père veut lui faire épouser, est sur le point d’arriver, et elle veut, avant qu’il se présente, s’être mise hors d’état de lui donner sa main. Elle fait appeler don Dionis, qui se hâte d’accourir ; cette scène caractérise trop bien le genre de Tirso pour que je n’essaie pas de la traduire.


Don Dionis. — Je me rends aux ordres de votre excellence. Veut-elle prendre en cet instant sa leçon ? (À part.) Sa présence me fait déjà trembler… Puisqu’elle ne me répond pas, sans doute elle ne m’a pas vu entrer… Elle est assise, la tête appuyée sur sa main.

Madelaine, à part. — Je voudrais en vain m’en empêcher, il faut que je me fasse comprendre. Je feindrai de dormir.

Don Dionis. — Madame, je suis don Dionis… Elle ne me répond pas… Dormirait-elle ?… Oui, elle dort… Profitons de son sommeil pour oser enfin contempler ces charmes qui troublent ma raison. Elle a les yeux fermés, je puis m’approcher sans crainte : leurs traits ne sauraient me blesser en ce moment. Le Tout-Puissant a-t-il jamais créé une beauté plus accomplie ?… Je veux baiser sa main… En aurai-je le courage ? Oh ! non, elle appartient à une divinité, et ma bouche est indigne de la toucher… Quoi ! je suis homme et je