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TIRSO DE MOLINA.

vers le ciel, et celle de l’ermite est plongée dans l’abîme. Une telle conception caractérise d’une manière trop frappante le catholicisme espagnol de cette époque pour que nous n’eussions pas cru devoir la signaler, alors même qu’elle n’eût pas fourni à Tirso des inspirations admirables, malheureusement mêlées de grandes extravagances et d’indignes bouffonneries. Il règne dans cette œuvre étrange une ardeur de foi et de charité, une exaltation pieuse dont l’expression vraiment entraînante forme un contraste singulier avec la manière habituelle de l’auteur. Il ne semble pas d’ailleurs que de son temps ce contraste parût aussi extraordinaire : on peut le supposer du moins, en lisant dans les approbations motivées par lesquelles les censeurs ecclésiastiques autorisaient la publication des diverses parties de son théâtre, qu’ils n’y ont rien vu de contraire à la religion et aux bonnes mœurs, rien qui ne fût propre à récréer honnêtement les esprits studieux et à prémunir la jeunesse contre les dangers du monde.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur les drames historiques et religieux de Tirso de Molina. Comme nous l’avons dit, ils sont aujourd’hui complètement oubliés, et c’est dans ses comédies d’intrigue qu’il faut chercher ses titres de gloire. Ne pouvant nous dissimuler l’impossibilité de faire suffisamment apprécier par voie d’analyse ou de traduction les beautés qu’il y a prodiguées, et qui tiennent d’une manière si exclusive au génie particulier de la langue castillane, nous allons cependant essayer d’en donner quelque idée.

On considère assez généralement comme son chef-d’œuvre l’Amant timide, ou, pour traduire plus exactement le titre espagnol, le Courtisan timide (el Vergonzoso en palacio.) L’idée est au fond la même que celle d’une célèbre comédie de Lope de Vega, le Chien du Jardinier ; mais contrairement à la tendance ordinaire des deux poètes, Tirso a porté dans l’exécution une délicatesse dont l’œuvre de Lope est tout-à-fait dépourvue.

La scène est en Portugal. On peut remarquer en passant que ce pays, alors simple province de la monarchie espagnole, paraît avoir été pour Tirso l’objet d’une sorte de prédilection : il se plaît à y placer le théâtre de ses drames, à peindre le caractère jaloux et passionné de ses habitans, à faire ressortir les traits particuliers de leur esprit, quelquefois même à reproduire leur langage, dont la mollesse et la mignardise sont pour lui une source intarissable de plaisanteries. L’action, tout-à-fait imaginaire, mais que l’auteur a rattachée à des circonstances historiques, se passe au XIVe siècle. Un jeune homme, élevé à la campagne au milieu des bergers dont il partage les travaux, se décide à fuir la maison paternelle pour chercher fortune et se soustraire à l’insupportable ennui d’une existence trop peu en accord avec les rêves ambitieux de son imagination. Le hasard le conduit à la cour du duc d’Avero, prince de la maison royale. Gravement compromis, au moment même de son arrivée, par l’imprudente générosité avec laquelle il favorise la fuite d’un proscrit, il obtient son pardon par l’intercession de la princesse Madelaine, fille du vieux duc, qui n’a pu voir sans en être touchée le dévouement courageux, la bonne grace et le danger du jeune aventurier. Elle fait plus, elle obtient de son père que don