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LES MISSISSIPIENS.

LA MARQUISE.

Ah ! j’en suis fort curieuse maintenant. J’aurais été fâchée de mourir sans avoir vu un homme sérieux dans ma vie. Et, dites-moi, est-il jeune ? est-il beau ?

LE DUC.

Il ne montre guère plus d’une trentaine d’années, peut-être en a-t-il trente-cinq ; mais il est fort bien, et Julie, qui est diablement curieuse de le voir, a envoyé coucher sa fille, sous prétexte de rhume, quoique la petite ne tousse pas plus que moi.

LA MARQUISE.

Que dites-vous là ? Vous êtes un méchant !

LE DUC.

Que voulez-vous ? On a beau être jeune et belle, on n’aime pas à avoir une fille de quinze ans à ses côtés !…

LA MARQUISE.

Allons ! vous avez du dépit contre Julie, ce n’est pas bien !

(Ils sortent en causant.)

Scène II.


GEORGE FREEMAN. Costume philosophique, cheveux noirs séparés sur le front et peignés naturellement, habit brun uni sans broderie, épée à poignée d’acier ; une simplicité dans les manières qui contraste avec le ton du jour ; figure pâle et mélancolique.

C’est donc ici !… Partout de l’ostentation et de la prodigalité, jusque dans cette décoration d’un jour ! c’est ici que je la reverrai ! me reconnaîtra-t-elle ?… Et moi, moi ! la reconnaîtrai-je ? Mon cœur est accablé de tristesse, mais il n’est pas agité. Il me semble que l’être que j’ai aimé n’existe plus, de même que l’être que j’ai été s’est effacé comme un rêve dans le passé !

(Il s’assied sur les gradins de l’orchestre.)

Scène III.


LOUISE, LUCETTE. Louise est habillée en villageoise comme Lucette, elles entrent sans voir George.
LUCETTE.

Comme vous trottez vite dans ces habillemens-là ! Convenez, mamselle, qu’on est bien mieux à l’aise que dans vos belles robes de damas, et qu’on se sent toute dégagée pour courir. Mais, comme vous êtes brave là-dessous ! ça vous va comme des plumes à un oiseau ; on dirait que vous n’avez jamais été autrement !


LOUISE.

N’est-ce pas qu’il est impossible de me reconnaître ?