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Pour réaliser la seconde condition, il faudrait faire en sorte que l’instrument du travail, le capital, fût à prix égal pour la haute et pour la petite industrie, pour l’humble fermier comme pour le riche exploitateur. Nous ne croyons pas être dupes d’une illusion en supposant la possibilité d’un aussi beau résultat. Un principe élémentaire en économie politique sera la base de notre raisonnement. L’intérêt de l’argent se décompose en deux parts, dont l’une est le loyer qu’on paie pour l’usage de cet argent, l’autre une prime d’assurance que le prêteur exige en raison des chances qu’il croit courir. Le premier élément est invariable ; le second se proportionne à la solvabilité présumée de l’emprunteur. Un banquier fastueux trouve toutes les bourses ouvertes, et y puise à raison de 4 pour 100. Le modeste boutiquier, dont la valeur, plus réelle peut-être, est inaperçue, n’escomptera pas à moins de 8. Dans le premier cas, la prime d’assurance sera seulement de 1 pour 100, tandis qu’elle s’élèvera à 5 dans le second. Supposons maintenant qu’il fût possible de réunir les petits emprunteurs par le lien d’une garantie réciproque, d’établir une sorte de mutualité qui réduisît à rien les chances de perte : il n’y aurait plus de raison pour que le papier provenant du petit commerce fût moins favorisé que les valeurs présentées par un riche capitaliste.

Que le lecteur veuille bien nous suivre dans une boutique obscure, et étudier avec nous ce qui s’y passe. Un marchand fait une vente à un de ses confrères, et reçoit en paiement un effet à terme. Ce billet, il a hâte de le réaliser ; mais il n’a pas à choisir entre les capitalistes ; il n’est connu personnellement que d’un seul, de celui qui fait le papier de son commerce, de l’escompteur qui a l’œil ouvert sur tout ce qui se passe dans la partie, qui sait par francs et centimes ce que vaut chacun de ceux qui y sont agrégés. L’escompteur, affranchi de toute concurrence, taxe à sa volonté celui qui a recours à lui ; puis, rendant le billet présentable à la banque, en y apposant sa signature qui fait la troisième, il réescompte à 4 pour 100 l’effet dont il a tiré 6 à 7. L’augmentation qu’il s’adjuge est à ses yeux la prime d’assurance ; mais l’étude qu’il a faite de sa clientelle spéciale diminue assez les chances défavorables pour que la plus forte part de ce qu’il perçoit lui reste en bénéfice. Eh bien ! n’a-t-on pas conçu déjà la possibilité de neutraliser ce ver rongeur, qui fait son chemin sous terre d’une boutique à l’autre ? Supposez des comptoirs d’escompte constitués de telle sorte que, d’un côté, on y pût connaître le personnel d’une industrie aussi bien que le banquier qui l’exploitait à ses risques et périls, et que d’un autre côté, ils offrissent à la banque centrale une garantie suffisante par l’évidence de leurs ressources et la sagesse de leurs statuts ; supposez que ces comptoirs répétassent en petit les opérations qui font la fortune des grandes banques, et que, distribuant les capitaux à très bas prix, ils conservassent à leurs actionnaires les chances d’un dividende séduisant, et vous entreverrez la solution du problème qui a été proposé plus haut.

Cette conception implique l’existence d’un organe central du crédit, d’une banque nationale autour de laquelle se coordonneraient toutes les autres. Il serait à désirer qu’un établissement de cette importance fût une des propriétés