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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

se renouvelèrent en 1839 ; mais cette fois, l’or étranger n’obéissant pas assez vite, on fut obligé de faire un appel à la Banque de France, qui prêta, comme on sait, 50 millions de francs. La chambre de commerce de Manchester[1] évalue à plus d’un milliard de francs les pertes infligées en ces circonstances aux cinq grandes ramifications de l’industrie britannique. Dans ces bourrasques, il n’est pas de fortune qui ne puisse être engloutie en un instant. On conçoit donc que des cris de rage et de malédiction poursuivent souvent les vingt-six régens de la banque de Londres qui sont maîtres de décréter la ruine des familles, et qui, sans que leur responsabilité personnelle soit engagée, sacrifient le corps national à la sécurité d’une spéculation particulière.

Multiplier les comptoirs locaux, pour contrebalancer la prépondérance d’une banque centrale, n’est-ce pas morceler un privilége, et, pour ainsi dire, en éparpiller les inconvéniens ? Toute compagnie d’actionnaires fera sentir soit despotisme dans sa sphère, si rétrécie qu’elle soit, de même que la banque d’Angleterre sur le grand théâtre européen. Se prêter trop facilement à l’érection des comptoirs indépendans, c’est constituer autant de petits fiefs et donner pied dans une nation à cette caste envahissante contre laquelle la démocratie américaine s’est prononcée récemment. Nous verrions donc avec inquiétude que la chambre des députés levât les prudentes restrictions opposées jusqu’ici à l’établissement des banques départementales[2]. Au point où en sont venues les sociétés, il n’est plus permis d’abandonner la répartition du crédit aux intérêts égoïstes des spéculateurs. Toutes les veines destinées à la circulation doivent dépendre d’un organisme général approprié à la constitution politique et à l’état moral de chaque peuple. Le système qui répond le mieux aux dispositions de la France est celui qui distribuera les secours avec la plus grande égalité, avec la plus rigoureuse justice. Cette proposition, contre laquelle personne n’osera s’inscrire, pose très nettement le problème à résoudre.

Or, les institutions de crédit portent un double profit, d’une part, aux capitalistes qui les fondent et les dirigent, d’autre part, aux emprunteurs qui en reçoivent des secours.

La première condition se trouverait très naturellement remplie, si autour d’une caisse centrale se constituaient, sur les bases que nous allons indiquer bientôt, des comptoirs particuliers qui appelleraient dans chaque spécialité commerciale un grand nombre d’actionnaires à la participation des bénéfices ; et si toute banque autorisée, depuis le grand réservoir national jusqu’aux plus humbles établissemens, était tenue envers l’état, c’est-à-dire envers la généralité des citoyens, à une somme de redevances ou de services proportionnée à sa puissance et à ses succès.

  1. Dans un manifeste daté du 12 décembre 1839. M. Lemaître a traduit cette pièce intéressante à la suite du Traité des Banques de M. Condy-Raguet.
  2. On en compte neuf dans nos principales places de commerce : Bordeaux, Rouen, Nantes, Lyon, Marseille, Lille, le Hâvre, Toulouse et Orléans. Plusieurs autres villes sollicitent vivement des priviléges.