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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

fication des monnaies et du remaniement continuel des poids et mesures. Dans le nombre des fraudes que se permettent les agioteurs américains, il en est qui, chez nous, provoqueraient la flétrissure des tribunaux. Que penser de cette compagnie qui, après avoir offert aux planteurs des avances en billets contre des marchandises, déprécia son propre papier par une émission surabondante, afin que la perte éprouvée par les prêteurs les mît dans l’impossibilité de retirer leurs gages, tandis qu’elle-même rachetait à vil prix ses billets avec le produit des gages vendus ? On cite des banques qui refusent les valeurs présentées à l’escompte pour les frapper de discrédit, et qui fournissent sous main, à des affidés, les moyens de les négocier sur la place à des conditions usuraires. Rien de plus commun que les capitaux fictifs, que les caisses sans réserves, que les actionnaires fondateurs qui acquittent leurs actions avec les crédits qu’ils s’accordent à eux-mêmes aux dépens des actionnaires confians. Des rapports officiels déclarent que les directeurs des seize banques de la Nouvelle-Orléans se sont attribué à eux-mêmes plus du tiers du total des prêts et avances faits dans l’année. M. le sénateur Walker a étendu ses recherches à d’autres états, et il se croit modéré en évaluant au quart des émissions de toutes les banques de l’Union la somme de crédit que les directeurs ont jugé bon de se faire en 1838, de sorte que le montant des facilités accordées par les 900 banques américaines ayant été de 2,667,000,000 francs, les directeurs ont pu réaliser les bénéfices d’un crédit de près de 700 millions. Ce qu’on a le plus à craindre après les fabricateurs de billets, ce sont les faussaires qui les copient. Un recueil périodique a pour spécialité d’éclairer le chaos de la circulation, et, dans le numéro de janvier 1839, il signalait 20 banques imaginaires dont les billets sont lancés dans le courant des affaires, 254 banques dont les billets ont été falsifiés, et 1395 descriptions de billets contrefaits ou altérés de 1 dollar à 500 (5 fr. 33 c. à 2,665 fr.).

En dénonçant ces turpitudes, M. Condy-Raguet fait acte de courage. Mais l’indignation du citoyen ne trouble-t-elle pas le penseur ? Est-il encore dans le vrai quand il prétend prouver que les banques ne créent pas de capitaux, qu’elles n’enrichissent un pays que d’une somme égale à celle des métaux précieux qu’elles rendent inutiles comme monnaie, et qui, redevenus marchandises, peuvent être exportés avec bénéfice sur les marchés étrangers ? Non sans doute, les banques ne créent pas directement les capitaux, et les billets qu’elles répandent ne sont par eux-mêmes que des bribes de papier ; mais ces papiers deviennent des instrumens de travail, à l’aide desquels des richesses très réelles sont produites. La vraie fonction d’une banque est moins de créer un capital nouveau que de féconder le capital qui existe improductif. Qu’on nous pardonne un exemple. Un propriétaire possède un terrain qu’il laisse inculte faute d’argent : une banque lui offre l’usage de son crédit, et se garantit en prenant hypothèque sur le fonds. À l’aide des billets qui ont la puissance de l’argent, une exploitation s’organise, et des produits nouveaux s’ajoutent au capital national : ce n’est pas, à proprement parler, la banque qui les a créés,