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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

164 millions, qui se seraient partagés entre le trésor pour 88 millions, et pour 76 millions au profit des joueurs heureux.

Tels étaient les ressorts financiers et les résultats probables du projet primitif. Mais la chambre des députés vient de donner à l’opération un caractère tout nouveau. 268 voix contre 163 ont condamné la création du fonds 3 1/2 au-dessous du pair, et n’ont laissé aux créanciers de l’état que l’option entre le retrait de leur capital au pair, ou l’abandon de la dixième partie de leur revenu. Il ne s’agit plus, à proprement parler, d’une conversion, mais d’une réduction des rentes. Plus de capital additionnel, plus de spéculation sur le jeu de l’amortissement, plus de catégories entre les porteurs d’inscriptions. Le vote de la chambre les frappe tous, depuis les plus humbles jusqu’aux redoutables opérateurs de la Bourse. 11 millions seulement au lieu de 16 doivent être retranchés aux rentiers, mais comme le trésor n’admet plus personne au partage de son bénéfice, ces 11 millions lui sont assurés au lieu de 9, qu’il pouvait se promettre suivant le premier plan de campagne.

À la première vue, la loi ainsi amendée paraît plus équitable et plus lucrative ; mais on en a rendu l’exécution fort difficile, en tournant contre elle ses plus ardens promoteurs, ses auxiliaires les plus actifs. Il est permis de ne pas croire au désintéressement parfait des agioteurs de profession. Une mesure qui leur inflige un sacrifice au lieu du profit qu’ils en attendaient, obtiendrait-elle leur concours ? Il serait peu prudent de l’espérer. Sans se mettre en hostilité déclarée, il leur suffirait d’un mot d’ordre donné à la Bourse, de quelques entreprises lancées habilement sur le flot de la spéculation, de l’appât d’un fonds étranger offert sur notre place, pour élever beaucoup plus haut qu’on ne le suppose le chiffre des remboursemens à effectuer. Alors le gouvernement se trouverait fort embarrassé de sa contenance en présence des capitalistes qui lui tendraient une main pour recevoir et l’autre pour prêter.

Ajoutons que l’une des conséquences du dernier vote est de nature à inquiéter les partisans sévères de l’économie. Chacun sait que notre amortissement, aux termes de la loi qui l’a reconstitué en 1833, ne peut plus racheter les rentes au-delà du pair. La commission prétendait lui rendre son activité en refoulant les cours au-dessous du pair par une conversion du 5 en 3 1/2. La majorité a senti que ce retour au mouvement serait plus ruineux encore que l’inertie, puisque l’amortissement devrait fonctionner à perte jusqu’à ce qu’il eût absorbé le capital additionnel ; au 5 pour 100, elle substitue seulement du 4 1/2 par changement de titre, ou du 4 par un emprunt. Mais ces fonds qui dépassent déjà le pair sont en dehors des conditions de rachat. Ainsi, l’impuissance de l’amortissement, sa situation irrégulière et exceptionnelle, se trouvent perpétuées et en quelque sorte légalisées. C’en est assez pour neutraliser les résultats économiques de l’opération. La loi des rentes, telle qu’elle est sortie de la chambre élective, doit donc réunir contre elle les rentiers, les spéculateurs, les hommes d’état et même les contribuables éclairés. Il est plus que jamais probable qu’une condamnation éclatante l’attend à la chambre des pairs, et, personne cette fois ne sera tenté de réclamer.