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vraiment unique de laisser chaque député proposer, motiver et défendre son plan particulier de conversion[1]. À voir les mots soulignés par l’auteur ne doit-on pas se demander s’il s’agit d’une transaction franche et légale ou d’une exécution par surprise ?

Le second grief est de ceux qui se traduisent en chiffres. Nous voulons parler de l’augmentation presque inévitable du capital dû par l’état, soit qu’on substitue un fonds au-dessous du pair à celui qui a dépassé le pair, soit qu’on ait recours à des emprunts pour faire face aux remboursemens demandés. Les porteurs d’inscriptions se groupent en deux classes : les rentiers proprement dits, dont l’unique ambition est de vivre de leurs revenus, et les agioteurs, qui accaparent pour revendre et trouvent leur compte à tous les déplacemens. Or, la réduction de l’intérêt serait, sinon impossible, au moins très difficile, si l’état n’achetait pas la coopération de ces derniers en leur offrant matière à bénéfices sur le capital. Par exemple, dans la combinaison de M. de Villèle, au lieu d’une rente de 5 francs pour 100 francs, on offrait 3 francs de rentes pour 75 : c’était une réduction d’un cinquième sur l’intérêt à payer ; mais, en revanche, chaque 3 francs de rente donnait lieu à l’inscription sur le grand-livre de 100 francs en capital, ce qui augmentait d’un tiers ou de 33 pour cent la dette nationale. De là une funeste alternative. Si l’état poursuit l’œuvre de sa libération, il versera des flots d’or en pure perte pour éteindre cette dette additionnelle. S’il renonce au rachat, il arrivera infailliblement à la banqueroute, quelle que soit la modicité des intérêts à payer.

Il a été dit dernièrement à la tribune que les chances aléatoires sont pour l’état comme pour les particuliers, et que parfois, après une conversion, on rachète au-dessous du prix d’émission. Il en fut ainsi en 1824. Après la fameuse manœuvre qui devait porter le 3 pour 100 au pair, il se trouva offert sur place au prix de 65, de sorte que les convertis furent indemnisés d’une perte de 20 pour 100 sur le revenu, par une perte de 13 pour 100 sur le capital ! N’ambitionnons pas pour le pays un pareil bénéfice, car il fut la conséquence d’une crise commerciale qui désola pendant trois ans la France et l’Angleterre, et on sait que la stagnation des affaires, l’avilissement des produits, l’inquiétude qui gronde comme un orage avant d’éclater en désordres, coûtent plus cher au trésor que tout ce qu’il peut gagner aux opérations de l’amortissement. Flattons-nous plutôt de rencontrer une heureuse veine de prospérité. Espérons que le niveau des valeurs publiques n’éprouvera aucune dépression, que le placement sur l’état obtiendra toujours la préférence, comme le plus sûr, et essayons de prévoir, d’après ces conjectures, les résultats définitifs de la grande mesure qui a déjà pour elle l’assentiment de la chambre élective.

III. — DE LA CONVERSION DES RENTES FRANÇAISES.

Avant d’entrer dans les détails de l’opération projetée, il importe de vider une question préalable, celle de la légalité. Le droit de rembourser ou de

  1. Histoire financière, citée plus haut, tom. II, pag. 478.