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REVUE DES DEUX MONDES.

LA MARQUISE, ironiquement.

Et plus que vous ne souhaiteriez.

LE DUC.

Vous plaît-il de vous faire comprendre ?

LA MARQUISE.

Ah ! vous comprenez de reste, perfide ! (Riant.) Vieux enfant, je sais de vos folies ! Julie m’a tout conté.

LE DUC.

Eh bien ! ça n’a pas dû lui coûter beaucoup de peine.

LA MARQUISE.

Elle en riait aux larmes et moi aussi. Ah çà ! vous êtes donc devenu tout-à-fait fou, de vouloir en conter à ma fille ?

LE DUC.

Votre fille est une coquette.

LA MARQUISE.

Et vous un fat. (Elle rit.)

LE DUC.

Ah ! vous voilà jalouse. Il est temps de vous y prendre.

LA MARQUISE.

Vous savez bien que je ne l’ai jamais été, j’aurais eu trop à faire avec vous !

LE DUC.

Cela vous eût donné la peine d’aimer !

LA MARQUISE.

Ah ! c’est joli ce que vous dites là ! Mais ce n’est pas vrai. Rappelez-vous que quand je fus ruinée par les sottises de mon mari, jeune encore et faite pour briller, je me retirai du monde sans dépit et sans tristesse, et que j’allai passer les longues années du veuvage dans mon petit hôtel du Marais, bien pauvre, bien oubliée, excepté de vous, mon bon ! et toujours aussi gaie, aussi heureuse qu’au temps de ma splendeur. Pourtant Julie s’ennuyait là bien mortellement, enviait toutes les jeunes filles qui faisaient de grands mariages, et, tout en se croyant éprise de son cousin, s’inquiétait souvent de son peu de fortune. Enfin, la meilleure preuve qu’elle est plus calculatrice que moi, c’est qu’au lieu de se trouver malheureuse avec ce Samuel, dont la seule vue m’eût fait mourir de dégoût il y a quarante ans, elle fait bon ménage avec lui, s’attife du matin au soir, embellit au lieu de vieillir, et n’a point d’amans !

LE DUC.

Le fait est que, pour ma part, je l’ai trouvée d’une rigueur !…

LA MARQUISE.

Ah ! si c’était la seule preuve !

LE DUC.

Eh ! vous n’eussiez pas dit cela, il y a quarante ans !