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l’empire dédaigna de s’en approprier les ressources. La caisse d’amortissement ne fut pour lui qu’un fonds de réserve où il puisait sans contrôle pour récompenser ses fidèles. Il délivrait de son propre mouvement des rentes sur le grand livre, et se débarrassait des fournisseurs et des créanciers importuns, en leur jetant des inscriptions au pair qui eussent perdu 20 à 30 pour 100 sur la place.

Quand on se rappelle la grande épopée impériale, qu’on énumère les trois millions d’hommes que Napoléon a mis sur pied, ses marches gigantesques à travers l’Europe, ses huit campagnes, mieux vaudrait dire cette unique et monstrueuse bataille qui dura dix ans, et en même temps les immenses travaux qu’il a menés à fin, les établissemens qu’il a fondés, et les riches dotations, et les nobles encouragemens qui tombaient si facilement de sa main, on s’étonne de ne trouver sur le grand-livre, à la date du 1er avril 1814, qu’une dette annuelle de 63,307,637 fr. ! Mais ce chiffre, il faut le dire, n’est qu’un mensonge. L’énorme contribution de guerre imposée à la France en 1815, et qui fut représentée dans notre budget pour une rente de plus de 95 millions, est à coup sûr une dette du conquérant. Il en est de même des rentes créées pour éteindre l’arriéré antérieur à 1816 et pour le remboursement des biens des communes, décrété en 1813, mais non réalisé. L’ensemble de ces nouvelles inscriptions forme environ 130 millions. Quoiqu’elles n’aient été effectuées que sous le gouvernement représentatif, elles sont le fait du despotisme militaire, et réunies aux rentes déjà immatriculées en 1814, elles élèvent le bilan impérial à la somme de 193,454,709 francs. Or, nous allons voir bientôt qu’en 1840, moins de 196 millions suffiront à l’acquittement de toute la dette perpétuelle. La surcharge apportée par la restauration et par la royauté de 1830, à peu près compensée par des amortissemens, est, pour ainsi dire, imperceptible. Le régime constitutionnel ne coûte donc pas aussi cher qu’on se plaît à le répéter.

Les engagemens contractés personnellement par Louis XVIII pendant son exil, la guerre d’Espagne, les dépenses extraordinaires provoquées par la commotion de 1830, sont venus s’ajouter successivement au fonds des 5 pour 100, et ont porté la somme totale des inscriptions faites depuis la consolidation du tiers à 214,733,394 francs. Mais cette somme n’a jamais été servie intégralement par le trésor : elle a été allégée à plusieurs reprises et notamment par la conversion volontaire[1] d’une partie du 5 en 3 pour 100, par l’annulation d’une partie des titres dévolus à la caisse d’amortissement, et enfin par quelques extinctions et déchéances au profit de l’état. Malheureusement, tandis que le 5 pour 100 s’atténuait, le milliard accordé aux émigrés et la conversion en rentes de la réserve de l’amortissement nécessitaient l’ouverture de plusieurs autres comptes, sous la dénomination de 2, de 4 et de 4 1/2 pour 100.

  1. Cette conversion eut lieu en 1825, après le rejet de l’opération combinée par M. de Villèle dans l’intérêt des émigrés. Les fonctionnaires lurent avec effroi dans un journal officiel : « Ceux qui se refuseront à la conversion déclareront par là qu’ils n’ont aucune confiance dans le gouvernement du roi. » Cet ordre fut compris de tous ceux qui vivaient dans la dépendance du pouvoir. Trente millions de rentes furent converties et laissèrent au Trésor un bénéfice annuel de six millions.