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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

fut ébranlé, et la chute des divers effets fut d’autant plus lourde qu’ils tombaient d’une hauteur exorbitante. L’action qu’on s’était arrachée à 20,000 livres fut offerte pour un louis. Les billets de banque donnés aux rentiers en échange de leurs titres avaient été garantis par l’état, et on n’aurait pu, sans déloyauté, profiter strictement de leur dépréciation. La somme totale des engagemens laissés par Louis XIV ne se trouva réduite que d’un quart au plus, c’est-à-dire qu’après l’opération du visa, à laquelle furent soumises toutes les valeurs créées par Law, le capital de la dette publique flottait entre dix-sept et dix-huit cents millions.

La déplorable expérience qu’on venait de faire développa dans la région du pouvoir l’horreur des systèmes et des réformes. L’abbé Terray disait, assure-t-on, que la science du crédit public consiste à emprunter de toutes mains et à tous prix, sauf à se remettre au pair de temps en temps par une banqueroute aussi décente que possible. Sans dire aussi effrontément leur dernier mot, les hommes d’état du siècle passé s’en tinrent assez généralement à cette complaisante théorie. De 1733 à 1788, les ministres ou plutôt les intendans de la cour firent argent de tout. Pour exciter le démon de l’agiotage, l’emprunt se présenta sous les formes les plus diverses et les plus agaçantes, telles que rentes perpétuelles ou viagères, concessions vendues aux pays d’état, traités particuliers avec certaines villes françaises ou étrangères, négociations avec des compagnies financières, des corps constitués ou des ordres religieux, institutions de loteries et de tontines, aliénations d’impôts, cessions de monopoles, emprunts sur hypothèques et même sur nantissement de valeurs mobilières. On ne saurait déterminer la somme versée effectivement dans les caisses publiques par suite de ces transactions : le capital dont l’état s’est reconnu débiteur a pu seul être évalué, et il ne demeure pas de beaucoup au-dessous de 4 milliards[1]. Ajoutée au déficit déjà laissé par la régence, cette somme eût formé une masse d’engagemens intolérable, si elle n’eût été plusieurs fois allégée par des manœuvres dans le genre de celles que conseillait l’abbé Terray[2]. Malgré le bénéfice des réductions, Necker, dans son budget, ne demandait pas moins de 262,500,000 livres pour le service des rentes constituées, des dettes échues et des pensions, et assurément cette somme était hors de proportion avec les ressources de la France à cette époque.

Le pouvoir populaire qui hérita de la monarchie accepta loyalement les charges de la succession. Émerveillée des ressources qu’elle découvrait en elle-même, la nation eut un instant l’espoir de se libérer intégralement, et elle

  1. Arnould, Balance du Commerce, tom. III, tableau XIV.
  2. M. le duc de Gaëte s’exprime ainsi dans une brochure qu’il vient de publier à l’occasion de la conversion projetée : « Les rentes établies sur les tailles étaient de temps en temps soumises à des réductions, jusqu’à ce que leur modicité permît enfin de les faire disparaître sans scandale et sans bruit. Il suffisait de les retrancher des états du roi. C’est de cette manière que s’exerçait alors le droit de remboursement. Voilà ce que j’ai vu sur la fin du règne de Louis XV, à mon début dans les finances, auxquelles j’ai consacré ma vie. »