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La vieillesse de Louis XIV devait être une douloureuse expiation de son étincelante jeunesse, de sa majestueuse virilité. Les bilans financiers de cette époque dénoncent une perturbation qu’on ne peut plus regarder sans vertige quand on est accoutumé au mécanisme régulier des gouvernemens représentatifs. Durant les quatorze dernières années du grand règne, la guerre et les fléaux naturels élevèrent le chiffre total des dépenses à près de 3 milliards : les recettes, réduites par des anticipations, avaient à peine couvert le tiers de cette somme ; il fallut demander au crédit les deux autres tiers. Le capital des rentes sur l’Hôtel-de-Ville montait à 1,292,000 livres, dont le service annuel, à raison de 4 pour 100, absorbait environ 52 millions. D’autres rentes constituées à divers titres, le capital des offices qu’on avait scandaleusement multipliés, et surtout une dette flottante et exigible, puisqu’elle était représentée par une sorte de papier-monnaie en circulation, portèrent le total de la dette publique à 2 milliards 396 millions[1]. La valeur des espèces métalliques était si incertaine en ces temps de crise, qu’il est fort difficile d’en établir la relation avec les cours actuels. Nous croyons pourtant qu’on ne s’éloignerait pas de la vérité en avançant que la dette léguée par Louis XIV à la régence n’était pas de beaucoup inférieure en capital à celle que supporte aujourd’hui la France constitutionnelle. Mais la disproportion devient effrayante, dès qu’on balance la population et les ressources des deux époques.

On eut recours aux expédiens ordinaires du despotisme, à la refonte frauduleuse des monnaies, à la révision arbitraire des titres de créances, aux confiscations, à des supplices même prononcés contre ceux qui insultaient par leur faste à la misère publique. Ce sont là de ces palliatifs qui ne retardent la crise que pour en augmenter l’intensité. La régence songeait donc forcément à rejeter le fardeau par une secousse violente, quand Law commença à semer dans le pays ses aventureuses théories. On sait avec quelle merveilleuse étourderie la France toute entière se prêta, sur la foi d’un prospectus, à la réalisation du fameux système. Certes, pour un gouvernement réduit à organiser une banqueroute, ce fut une bonne fortune que d’avoir la nation entière pour complice. Les rentiers, qui, toutes réductions faites, touchaient des arrérages à raison de 4 pour 100, acceptèrent le remboursement de leurs créances en actions de la nouvelle banque, qui ne portaient que 2 et demi pour 100 d’intérêt, mais dont les titres pouvaient se négocier sur la place avec un bénéfice énorme. Les premières actions, auxquelles étaient attachés certains priviléges s’élevèrent en même temps de 500 livres à 20,000. L’argent perdit 10 p. 100 sur les billets. Mais les agioteurs n’avaient pas, comme les philosophes des beaux temps de la Grèce, la prétention de porter toujours leur fortune avec eux. L’engouement pour le papier s’épuisa, et comme à un signal donné chacun courut au remboursement. Dès le premier choc, tout l’échafaudage du crédit

  1. Selon le compte du ministre Desmarets, reproduit par Forbonnais. Quelques historiens ont même dénoncé un déficit de 3 milliards 111 millions ; mais la base de cette évaluation nous échappe.