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REVUE DES DEUX MONDES.

I. — FORMATION DE LA DETTE FRANÇAISE.

Les doctrines catholiques sur le prêt à intérêt s’opposèrent long-temps à un système équitable et régulier d’emprunts publics. L’église se faisait un devoir d’agiter constamment ses foudres sur l’usure, ce monstre insatiable auquel de mauvais princes eussent livré sans pudeur la chair et le sang des peuples. Un temps vint cependant, où le travail fut mis en honneur les capitaux s’accumulèrent dans les mains industrieuses, et, faute de circulation, on dut remarquer un engorgement maladif sur quelques points, et partout ailleurs une langueur affligeante. Il y eut dès-lors urgence de rétablir l’équilibre vital, en provoquant, par l’attrait du gain, le salutaire écoulement des richesses. Toutefois, l’église ne fit fléchir l’ancienne discipline qu’avec une extrême circonspection. Elle se réserva d’intervenir entre les parties comme tutrice légitime du plus faible, et dans la crainte que le nécessiteux ne se précipitât aveuglément sous le joug du riche, elle formula un contrat dont les bases principales sont autant de garanties pour l’emprunteur. Pendant la première moitié du XVe siècle, les papes Martin V et Calixte III déclarèrent que le placement de l’argent devenait licite avec les restrictions suivantes : d’abord, que le produit annuel ne devait jamais dépasser le taux énoncé par la loi ; en second lieu, que le fonds serait toujours fourni en argent et non pas en autres valeurs, pour empêcher qu’une estimation arbitraire ne favorisât la fraude ; enfin, surtout, que l’emprunteur pourrait à sa volonté se libérer par le remboursement du capital, sans qu’il pût jamais y être contraint par le créancier. Un peu plus tard, on déclara que le bénéfice de la prescription pour les arrérages était acquis au débiteur au bout de cinq années. Telles sont les dispositions qui, de la jurisprudence canonique, ont passé dans le droit civil, et forment encore aujourd’hui la base du contrat de rente perpétuelle. C’est ainsi qu’à une époque où le pouvoir spirituel n’était pas un vain mot, l’église intervenait pour moraliser les innovations réclamées par le progrès des sociétés.

Dans l’origine, les prêteurs exigeaient qu’une valeur foncière ou mobilière fût spécialement engagée en garantie de leurs avances. La rente devait être prélevée sur le revenu de l’un des domaines de la couronne, ou sur l’une des branches de l’impôt, comme la taille ou les gabelles. Louis XII emprunta ainsi une somme assez considérable pour le temps. Le crédit public, tel que nous le définissons aujourd’hui, n’existait donc pas encore ; il ne date en France que du jour où on put faire appel aux capitalises, sans autre gage à offrir que la responsabilité morale du prince et l’ensemble des ressources nationales. Les rentes créées à ces conditions furent assignées vaguement sur l’Hotel-de-Ville de Paris. On a compté cinq émissions de cette nature sous François Ier, trente-trois sous Henri II, quatre sous François II, vingt-sept sous Charles IX et sept sous Henri III. Ces emprunts faits sans mesure, et à la première tentation du besoin, grevèrent l’état d’une dette annuelle de 3,428,233 livres, somme qui serait à peine représentée de nos jours par un chiffre dix fois plus fort. La dette perpétuelle, qui seule est l’objet de nos recherches, ne consti-