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LA SICILE.

du musée du prince Biscari, déchirèrent le drapeau jaune, et arborèrent à sa place le drapeau des Deux-Siciles. Ce mouvement eut lieu sans brûler une seule amorce et sans qu’une seule goutte de sang eût été répandue. Les citoyens arrêtés au nom de la junte furent mis en liberté ; le peuple traîna par toute la ville le conseiller Benintendi dans un carrosse, et les autorités, ramenées de la villa où elles étaient prisonnières, reprirent leurs fonctions. La révolution de Catane avait duré trois jours !

Le retour à l’ordre avait eu lieu le 3. Le 4, on apprit à Catane que le marquis del Caretta, revêtu des pouvoirs d’alte rego, s’était embarqué avec un corps de troupes, et le 5 l’escadre napolitaine parut devant la rade. Quand les députés de la ville se rendirent à bord du vaisseau où se trouvait le lieutenant-général del Caretta, ils eurent peine à lui persuader que la ville était tranquille ; et lorsqu’il ne put en douter, une juste défiance le fit hésiter à débarquer, car il soupçonnait un piége. Les autorités s’étant remises en otages, le général fit son entrée dans la ville et fut reçu au milieu des fêtes qui durèrent quatre jours, tristes fêtes célébrées entre les excès de juillet et les ravages du choléra qui éclata quelques jours après ! En un mois, neuf mille personnes de cette cité peu populeuse furent jetées nues et presque sans sépulture dans le champ des arènes. En même temps, les commissions militaires procédaient contre les plus compromis. Deux listes de contumaces furent dressées, et on offrit 300 et 120 ducats de récompense à ceux qui livreraient les accusés qui se trouvaient dans ces deux catégories. Pour le marquis de San-Giuliano que je vis à Catane deux mois après, il ne fut jugé que plus tard ; le marchesino, son fils, prit la fuite avec quelques amis, et se retrancha, au milieu d’une guérilla de paysans, dans la vallée de Modica. En me rendant à Modica, je rencontrais souvent dans la vallée des soldats suisses accompagnés de campieri, qui sont les gendarmes siciliens, ou plutôt des campieri gardés à vue par des soldats suisses, et faisant des battues dans les bois. Au reste, nulle trace d’émotion, et bientôt j’appris que le marchesino avait pu gagner la côte et s’embarquer pour Malte. À Syracuse, l’insurrection avait suivi la même marche qu’à Catane ; seulement le mouvement politique avait été moins prononcé, car les bateliers et la populace se livraient à leurs excès en criant Viva el re e Santa Lucia ! Sainte Lucie est la patronne de Syracuse. Les commissions militaires y condamnèrent aussi un certain nombre de personnes, toutes accusées de massacres et non de crimes politique, les unes à plusieurs années de fers, les autres à la mort. Là aussi