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LA SICILE.

et l’inspecteur de police, et les massacrait en répandant le bruit qu’on avait trouvé dans leurs maisons une grande quantité de poisons. Des députés envoyés d’une ville à l’autre se rencontrèrent à Brucola, et ceux de Syracuse remirent aux envoyés de Catane un manifeste qui fut affiché dans cette ville. Dans cette pièce, promulguée par une prétendue commission de vigilance sanitaire présidée par un baron de Pancali, les Syracusains avertissaient leurs compatriotes qu’un directeur de cosmorama, nommé Joseph Schwentzer, interrogé par une commission nommée à cet effet, et par le juge instructeur don Francesco Mistretta, avait fait l’aveu de la part qu’il avait prise aux compositions vénéneuses qui avaient répandu le choléra à Syracuse, et à l’aide desquelles on comptait le propager à Messine et à Catane. La commission de vigilance sanitaire déclarait encore que la matière trouvée chez les fonctionnaires, « qui dans la chaleur de la découverte étaient restés victimes de l’indignation du peuple[1], » n’était autre que du nitrate d’arsenic. En conséquence, M. le baron Pancali et ses adhérens avaient eu le déplaisir de rester spectateurs de divers évènemens tragiques, effets de la juste fureur populaire[2].

Vous pouvez vous figurer, monsieur, l’effet que produisit cette horrible proclamation sur la populace de Catane, déjà très animée. La terreur la contint toutefois pendant les premiers jours, et ce ne fut que le 28 que les chefs révolutionnaires se rendirent chez le marquis de San Giuliano pour lui reprocher de n’avoir pas permis le massacre des autorités accusées, et lui demandèrent de les traduire en jugement, c’est-à-dire de les faire mettre à mort. Le marquis s’efforça de les modérer, et, parlant leur langage populaire, comme faisait à Palerme, en 1820, le prince Paterno, il les exhorta d’un ton demi-sérieux, demi-facétieux, à ne pas livrer la ville au pillage, et à rappeler les autorités. Dès ce moment le marquis perdit toute son influence sur les révoltés, et il dut songer à sa sûreté personnelle. Le peuple, sans autres chefs que ceux qu’il se donnait momentanément et qu’il prenait dans son sein, gens aussi bornés et aussi ignorans qu’on peut l’être dans une cité séparée à la fois du monde entier et du reste de la Sicile, se jeta sur les postes militaires qu’il désarma, courut aux hôpitaux, et s’empara des effets des malades ainsi que des chariots qu’on avait préparés pour transporter les victimes du choléra.

Ces différens objets furent portés solennellement sur la place de la

  1. « I quali nel calor della scoperta rimasero vittima del sdegno del popolo. »
  2. « Abhiâmo avuto il dispiacere di dover essere spettatori di diversi tragici avenimenti, effetti di giusto furor populare. » —