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petites cités siciliennes, y menant par une pente rapide, et vous aurez à peine une idée de cette magnifique construction, pour laquelle les matériaux n’ont pas manqué, il est vrai ; car d’innombrables blocs de granit et de marbre la bordent comme de hautes murailles, et offrent partout leurs fragmens pour la raffermir. Ce n’est pas une des moindres curiosités de ce trajet, que la vue des richesses minérales qu’on rencontre partout. Les palais sont en quelque sorte rangés devant vous dans ces montagnes ; il n’y manque que le péristyle et les fenêtres, qu’on voudrait voir creusés dans les grands rocs de marbre blanc qui s’élèvent avec une sorte de régularité sur votre passage. Quelquefois on descend dans des plaines fertiles, où la terre rend trente fois le grain que le cultivateur jette négligemment à sa surface ; mais, au sortir de la vallée de Palerme, dès l’auberge isolée de Manganara jusqu’à Castrogiovanni, le centre de l’île, on chemine suspendu entre les rochers.

À voir les villes de l’intérieur de la Sicile, on comprend la durée des guerres et des révoltes qui ont eu lieu dans ce pays. Castrogiovanni, dont je viens de parler, et Calatascibetta, deux de ces villes, sont situées vis-à-vis l’une de l’autre sur deux pics opposés qu’on découvre déjà en sortant du bourg de San-Caterina. Castrogiovanni, vous pouvez l’avoir oublié tant il y a long-temps que je vous l’ai dit, Castrogiovanni est l’antique Enna, et domine la fertile campagne ainsi que le petit lac de Perguse, au bord duquel jouait avec d’autres jeunes filles la belle Proserpine quand Pluton sortit de quelque solfatarre voisine pour l’enlever. La route passe entre les deux pics, et il ne tient qu’aux habitans de ces deux villes de ne pas descendre de leurs rocs respectifs pour rester parfaitement étrangers les uns aux autres, comme au reste de la terre. En outre, ils n’ont qu’à fermer leurs portes pour être imprenables, et même, si on les forçait, chaque maison étant bâtie sur des gorges de montagne et assise sur un rocher, dans des lieux qui semblent inaccessibles même à ceux qui ont gravi les aiguilles où reposent ces étranges cités, chaque maison est une citadelle dont des Siciliens seuls pourraient tenter de s’emparer. À cette hauteur l’hiver est très rigoureux. Mon épaisse pelisse russe, qui était un objet de curiosité pour les habitans, me préservait à peine du froid. La montée de Castrogiovanni ne laisse pas que d’être rude ; mais, à mesure qu’on gravit, de ravissans aspects se présentent à vos regards. Le sentier se couvrait de paysans et de bergers qui montaient en même temps que nous, précédés par leurs mules, ornées de rubans et de paillons, ou conduisant des bœufs d’une