Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/408

Cette page a été validée par deux contributeurs.
404
REVUE DES DEUX MONDES.

retrouvent souriant, et il bat des mains avec transport aux premiers triomphes. Il avait connu et aimé Millevoye faiblissant ; il enhardissait De Latouche éditeur d’André Chénier ; il n’eut qu’un cri d’admiration et de tendresse pour le chant inoui de Lamartine. Il connut Victor Hugo de bonne heure, à la suite d’un article qui n’était pas sans réserve, si je ne me trompe, sur Han d’Islande ; il découvrit vite, au langage vibrant du jeune lyrique, les dons les plus royaux du rhythme et de la couleur. Un voyage en Suisse qu’ils firent tous deux ensemble et en famille, vers 1825, acheva et fleurit le lien. Dans le même temps, par ses publications avec son ami M. Taylor, par les descriptions de provinces auxquelles il prit une part effective au moins au début, il poussait à l’intelligence du gothique, au respect des monumens de la vieille France. Ses préfaces spirituelles, qu’en toute circonstance il ne haïssait pas de redoubler, harcelaient les classiques, et, en vrai père de Trilby, il sut piquer plus d’un de ses vieux amis sans amertume. Les savantes expériences de sa prose cadencée, les artifices de déroulement de sa plume en de certaines pages merveilleuses, eussent été plus appréciés encore et eussent mieux servi la cause de l’art, si on ne les avait pu confondre par endroits avec les allanguissemens inévitables dus à la fatigue d’écrire beaucoup, à la nécessité d’écrire toujours. Nombre de ses images, qui expriment des nuances, des éclairs de mouvemens presque inexprimables (comme celle du goéland qui tombe, citée plus haut), étaient faites pour illustrer et couronner l’audace, et, dans une poétique de l’école moderne, si on avait pris soin de la dresser, nul peut-être n’aurait apporté un plus riche contingent d’exemples. Le petit volume de poésies qu’il publia en 1827, vint montrer tout ce qu’il aurait pu, s’il avait concentré ses facultés de grace et d’harmonie en un seul genre, et combien cette admiration fraternelle qu’il prodiguait autour de lui était négligente d’elle-même et de ses propres trésors par trop dissipés. Deux ou trois tendres élégies, quelques chansonnettes nées d’une larme, surtout des contes délicieux datés d’époques déjà anciennes, firent comprendre avec regret que, si elle y avait plus tôt songé, il y aurait eu là en vers une nouvelle muse. Mais, avant tout, un dégoût bien vrai de la gloire, un pur amour du rêve, y respiraient :

Loué soit Dieu ! puisque dans ma misère,
De tous les biens qu’il voulut m’enlever,
Il m’a laissé le bien que je préfère :
Ô mes amis, quel plaisir de rêver,
De se livrer au cours de ses pensées,