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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

dans un moment d’exaltation généreuse, écrivit à Fouché et se dénonça lui-même comme auteur de la Napoléone. Quoi qu’il en soit, Fouché avait pour bibliothécaire le Père Oudet, ancien ami du père de Nodier dans l’Oratoire. Cette circonstance ne laissa pas de tempérer les premières sévérités politiques contre l’imprudent jeune homme. Il fut renvoyé à son père à Besançon ; mais d’actives liaisons avec les émigrés rentrans et avec les ennemis du gouvernement en général, le compromirent de nouveau. Accusé d’avoir pris part à l’évasion de Bourmont, il s’évada lui-même de la ville, et n’y revint qu’après qu’un jugement rendu l’eut mis à l’abri. Il dut fuir encore, comme plus ou moins enveloppé dans la grande machination dénoncée par Méhée sous le nom d’alliance des jacobins et des royalistes : il était en danger de passer pour un trait-d’union des deux partis. Prévenu à temps, il gagna la campagne et resta errant jusque vers le commencement de 1806, soit dans le Jura français, soit en Suisse. C’est dans cet intervalle qu’il produisit les Tristes, et même le Dictionnaire des Onomatopées, singulière inspiration chez un proscrit romanesque, et bien notable indice d’un instinct philologique qui grandira.

En 1806, son mandat d’arrêt fût levé et converti en un permis de séjour à Dôle, sous la surveillance du sous-préfet, M. de Roujoux, homme aimable, instruit, qui préparait dès lors son estimable essai des Révolutions des Arts et des Sciences. Nodier y connut beaucoup Benjamin Constant, qui avait à Dôle une partie de sa famille : leurs esprits souples et brillans, leurs sensibilités promptes et à demi brisées, devaient du premier coup s’enlacer et se convenir. Il ouvrit un cours de littérature qui fut très suivi, et, s’il avait laissé le temps aux préventions politiques de s’effacer, l’Université aurait probablement fini par l’accueillir. Le préfet Jean de Bry lui portait intérêt ; le ministre Fouché associait son nom à des souvenirs oratoriens. Ces années ne furent donc pas absolument malheureuses ; les sentimens consolans de la jeunesse les embellissaient, et de fréquentes tournées au village de Quintigny, qui recélait pour son cœur une espérance charmante, lui décoraient l’avenir. Il rêvait de faire une flore du Jura ; il rêvait mieux, une vie heureuse, domestique, studieuse, sous l’humble toit verdoyant. Il a exprimé lui-même ces poétiques douceurs d’alors à quelques années de là, lorsque dans son exil d’Illyrie il se reportait avec une plainte mélodieuse vers les saisons déjà regrettables.

Qui me rendra l’aspect des plantes familières,
Mes antiques forêts aux coupoles altières,