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Rosiers et ce baiser à travers les feuilles d’une rose ; quand donc on se croit assuré qu’il en est là, tout d’un coup… qu’est-ce ? Méfiez-vous, attendez !… le procédé final n’a pas changé ; l’adorable idylle, la pastorale enchantée, tout amoureusement tressée qu’elle semble, va se trancher net encore à la Werther ou à la Werthérie, sinon par un coup de pistolet, au moins par une petite-vérole qui tue, par un anévrisme qui rompt, par une convulsion délirante ; Séraphine, Thérèse, Clémentine, Amélie, Cécile, Adèle, toutes ces amantes qu’il a touchées au front, elles en sont là ; il a comme résumé leur destin en un seul dans ces stances mélodieuses, où du moins le rhythme et l’image ont tout revêtu et adouci :

Elle était bien jolie, au matin, sans atours,
De son jardin naissant visitant les merveilles,
Dans leur nid d’ambroisie, épiant les abeilles,
Et du parterre en fleurs suivant les longs détours.

Elle était bien jolie, au bal de la soirée,
Quand l’éclat des flambeaux illuminait son front,
Et que, de bleus saphirs ou de roses parée,
De la danse folâtre elle menait le rond.

Elle était bien jolie, à l’abri de son voile
Qu’elle livrait flottant au souffle de la nuit,
Quand pour la voir, de loin, nous étions là, sans bruit,
Heureux de la connaître au reflet d’une étoile.

Elle était bien jolie ; et de pensers touchans,
D’un espoir vague et doux chaque jour embellie,
L’amour lui manquait seul pour être plus jolie !…
— « Paix ! voilà son convoi qui passe dans les champs !… » —

Idylle et catastrophe, une vive et brillante promesse interceptée, son imagination avait pris de bonne heure ce tour dans le sentiment de sa propre destinée et dans l’expérience des malheurs particuliers, réels, auxquels il est temps de venir.

Nous serons bref dans un détail que lui-même nous a orné de couleurs si vivantes en mainte page de ses Souvenirs. Il suffira de nous rabattre à quelques points précis et moins illustrés. En 1802, la Napoléone, dont les copies se multiplièrent à l’infini, et une foule de petits écrits séditieux qui s’imprimaient clandestinement chez le républicain Dabin et se distribuaient sous le manteau, attirèrent les recherches de la police. Dabin fut arrêté. On m’assure que Nodier,